Oodnadatta Track on my recumbent bike

Quelques noms légendaires de l’outback continuent à nourrir les rêves de plus d’un d’entre-nous : Birdsvilles, désert de Simpson (Arunta), désert Strzelcki, ou encore Oodnadatta. Toutes ces pistes griffent de leurs passages d’immenses lignes droites au cœur de l’Australie aride et poussiéreuse. Comme d’autres avant moi, je désirais me confronter à la dimension hors normes de ces terres désertiques.

Couleurs du désert le long d’Oodnadatta Track, sur les rives du Lac Eyre

Le mythique Oodnadatta Track décrit comme « très engagé », est la voie certainement la plus accessible afin de s’immerger dans la région la plus imprévisible, inhospitalière et impénétrable du continent. Longtemps tétanisée par la préparation de ce périple, même craintive à la lecture des rares blogs cyclistes s’y étant confronté, je ne trouvais que des mises en garde de mes prédécesseurs, qui semblaient tous ultra-expérimentés munis des meilleurs équipements de cycle. Il n’existait aucune source d’information rédigée de la main d’une femme, et encore moins de quiconque empruntant ces pistes hasardeuses en vélo-couché.

Oodnadatta Track en rouge, fond de carte Outback Central and South Australia
Hyper heureuse

Préparation Oodnadatta : démystifions !

Et pourtant, après avoir achevé hier l’intégralité de l’Oodnadatta Track à vélo-couché en solitaire, je dois briser le mythe, ces pistes ne sont pas si inaccessibles. Peu fréquentée en été, bien fréquentée en hiver, les 4×4 circulent, donc attention aux frimeurs qui prétendent ne croiser personne. Dans les faits, il y a des habitants dans les « stations » (i.e domaine d’élevage bovin), même les plus isolées, et de nombreux Aborigènes vivent proche des villages comme Marree et Oodnadatta. Cessons de se faire mousser d’une traversée impossible et corroborer de fausses informations.

En effet, avec suffisamment d’eau et de nourriture, on s’envoie le grand chelem (Marree-Marla) sans prendre de risque inconsidéré. Femme ou homme, vélo droit ou vélo couché, seule ou en équipe, ça passe, c’est prodigieux, c’est grandiose.

Par contre, je ne compare en rien l’Oodnadatta Track à l’engagement requis pour rejoindre Birdsvilles, ou encore traverser les 650 km de dunes rouges du Simpson désert. Deux parcours, s’élevant certainement à une tout autre échelle de risque, dont mon amie Olivia Chaloin s’active à préparer la traversée en été. Quand je préparais ma transatlantique en voilier en 2020, cette aventurière des territoires brûlants déballait déjà les cartes du désert australien. La pandémie fermant les frontières, Olivia s’entraina à défaut de l’Australie dans un autre désert : la Namibie, avec son full fat trike (i.e tricycle tout terrain), produisant récemment le film Push-Bush.

Etat des pistes

J’aurais tellement aimé savoir à quoi m’attendre afin de me préparer mentalement, plutôt que d’envisager seulement le pire.
Bien que la géologie de subsurface (sable, gravier, bedrock) et sa géomorphologie (colline, dénivelé, dune) sont responsables du type de sol rencontré, l’état cyclable des pistes dépend essentiellement des conditions météorologiques propres aux semaines précédant un périple. Un orage 5 jours avant l’expé, transformera une « piste roulable à gravier » en véritable bain de boue impraticable.
Le terme roulable étant très subjectif, je préfère préciser, je roule avec des pneus de 2 cm de large, j’ai un don particulier pour l’équilibre précaire en vélo-couché, et ayant tendance à essayer de rouler jusqu’à tomber, plutôt que de m’arrêter et pousser.  
Pour être plus objectif, je fournis en fin d’article la carte géologique et géomorphologique de la région Oodnadatta. De manière générale, le hors-piste est un sol très mou, voire sableux, non praticable pour mon vélo, et constitue un labyrinthe de nombreuses broussailles (50cm-1m de hauteur) à épines, dangereuses pour les crevaisons.


Description des pistes au 6 mai 2023, après 2 semaines sans pluie, dernière pluie forte à 3 semaines.

  • 90 km | Marree – Lake Eyre80% piste roulable compacte (gravier fin) et 20% piste en tôle ondulée roulable et évitable sur les zones centrales ou les bords, très rares patches « bassines de graviers » évitables.
  • 45 km| Lake-Eyre – Coward Spring | 80% piste roulable compacte (graviers find) et 20 % « bassine de graviers » peu roulable non- évitable surtout en arrivant à Coward Spring.
  • 75 km |Coward Spring – William Creek | 50% « bassines de graviers » discontinues, parfois roulables, parfois non, 50 % piste roulante à rares patches de sables (<20 m). 
  • 115 km | William Creek – Warrina Creek |70% piste roulable en tôle ondulée évitable et 30% pavasses, graviers, sables en tôles ondulées obligeant parfois à pousser ou contourner.
  • 95 km |Warrina Creek – Oodnadatta | succession piste-dip-piste : piste roulable dont tôle ondulée évitable (km) entrecoupées de « dip » c’est-à-dire, des rivières à sec sableuses souvent on doit pousser sur 10 mètres.
  • 105 km | Oodnadatta – Olarinna Creek | 1ère moitié hyper roulante (piste sans gravier), 2ème moitié très peu roulante avec longue bassine de sable et de gravier.
  • 100 km | Olarinna Creek – Marla | 75% peu roulante avec longue bassine de sable et de gravier et 25% restant vers Marla piste compacte impeccable.

Conditions idéales

L’hiver 21 avril – 21 juin entre 5° à 30°C, partir en vérifiant zéro-précipitation durant les 2 dernières semaines, i.e pas de boue, pas de zone inondée et avec un vent nul ou favorable de sud-est.

Cartes utiles

  • Carte papier Outback Central and South Australia (dispo Leigh Creek/Marree ou télécharger photo en fin d’article)
  • Carte hors-ligne gratuite appli MAPSME (peu détaillée, nulle pour calcul dénivelé)
  • Carte hors-ligne payante appli HEMA 4WD (59,99€, ultra détaillée, pistes alternatives, lieux ravitaillements, numéro de téléphones, toutes les sources d’eau possibles dont rivières, sources d’eau chaudes, etc.)

Eau – Nourriture – Bivouac
Pas la peine de réinventer la roue, le site du cycliste G.F. Coop est une source illimitée d’inspirations https://cycletrailsaustralia.com. Je mets à jour :

  • William Creek eau désalinisée gratuite.
  • Oodnadatta roadhouse eau gratuite car distributeur payant HS et ravitaillement nourriture assez varié (même fruits).
  • G.F. Coop propose une vitesse moyenne de 75km/jr (i.e 9,5 jours), c’est raisonnable. Personnellement avec vent nul ou favorable, je tiens facilement les 100-115 km/jr (i.e 6,5 jour). Le hic réside dans l’imprévisibilité du vent, ma stratégie étant de prévoir assez de nourriture et d’eau pour la pire des situations (9,5 jrs). La plus longue section sans eau étant Oodnadatta-Marla (205km), j’ai consommé en 48 heures 11 L pour boire, cuisiner, se laver (visage, main, parties intimes).  L’avantage avec ce temps sec, on a l’impression d’être propre, de ne pas avoir vraiment besoin de se laver.

Indispensable

  • Un rétroviseur (road train de la mort)
  • Côté mécanique, j’avais changé à neuf à Byron Bay soient à moins de 2 000 km dérailleur, chaine, pneus, câbles freins et vitesses, cassette shimano (11-42) et je suis outillé pour changer l’ensemble de ces pièces si nécessaire sur la route. Malgré aucune casse majeure à déplorer, j’ai trimballé un ancien dérailleur, les câbles, 1 pneu basique léger avant et arrière, rustines et chambres à airs.
  • Jantes de qualité, pas nécessairement neuves au moment du trip, ni ultra techniques mais avec < 5000 km c’est préférable.
  • Pneu avant schwalbe marathon plus 20×1.75 + pneu arrière schwalbe marathon mondial 26×1.75 (Plus large si tu peux, c’est mieux, moi ce n’est pas possible)
  • Chapeau et filet anti-mouche (sinon tu deviens vite cinglé, merci Vicky)
  • Mitaine vélo pour les chutes (ça va arriver tôt ou tard)
  • Habits légers qui couvrent les jambes et les bras + 1 doudoune
  • Bivouac pour des températures de nuit frisant les 5°.

Pratique mais pas indispensable

  • 1 paire de chaussettes en laine pour nuit froides dans le désert (qui va se convertir en sur-gant).
  • Zip-ties (Serflex) et ducktape (scotch déménageur pour réparations de fortune).
  • Suspensions (avec les secousses, on devient zinzin)

Matériels dont j’aurais pu me passer 

  • Téléphone satellite car pour activer des secours il y a du passage sur la piste
  • 2ème poche 6L sea-to-summit
  • 1,5 kg de pâte non consommées depuis Marree alors qu’à Oodnadatta on trouve presque tout. 
Nourriture pour 9 jours avec du rab
Etat du vélo à la sortie de l’Oodnadatta track
L’allure de mon bivouac dans les dunes

Traversée Oodnadatta


Une traversée du désert se raconte en couleurs, c’est une introspection, une traversée de soi et un amour inconditionnel pour la nature avec qui on doit essayer de faire un, et d’accepter autant les merveilles que les épreuves.

Itinéraire sur l’Oodnadatta track depuis les Flinders ranges

Une touche de courage avec Jan & Ron Tarr à Marree

Ce 6 mai, c’est l’hiver à Marree, à la célèbre porte du désert, où se termine la route asphaltée. Demain je serai sur l’Oodnadatta track, pas de retour en arrière possible. Sous la pleine lune, tel le phare du port d’attache, j’ai les yeux écarquillés, dans ma tente, au bout de l’unique rue de Marree. J’ai dévoré encore une portion d’ogre à l’unique pub-boutique-station-essence-bureau-de-poste-et-tout-le reste. Je comprends que je mange à la fois pour moi maintenant, pour mon corps demain, pour les personnes qui me manquent et parce que j’ai un peu la trouille.

Le vent souffle dans la rue déserte. J’ai 11 litres d’eau pour ces premiers 140 km sans ravitaillement. Bien trop, certainement. En ajoutant les 9 jours d’autonomie de nourriture, je suis un véritable mulet. Le compromis est cornélien, soit je suis légère, j’avance plus vite, mais me rationne et accumule de la fatigue. L’option mulet étant, être lourde, avancer moins vite, manger à ma faim, garder le moral, et je profite du désert avec une bonne tartine de peanut butter mais interdiction de râler dans les côtes, ça tombe bien, c’est censé être plat.

De rouilles et de poussières, depuis ma tente, j’entrevois le vieux wagons de la ligne de chemin de fer abandonnée des Ghans (comprenez les Afghan, Old Ghan Railway) ainsi que la ruine d’une réplique de la mosquée « Afghanes ». Faussement dénommés Afghans en 1866, des chameliers ont été déplacé du Pakistan, d’Inde, et seulement certains d’Afghanistan accompagné de leurs montures, afin de « contribuer » au déplacement de marchandise pastorale depuis Marree, fin du chemin de fer, vers le Nord. Les caravanes de dromadaire (une seule bosse) furent remplacées au début du XXème par la suite de la ligne de chemin de fer « Ghans », construite sur cette région sous le niveau de la mer (-7 m a.sl) et donc inondable et instable. Mes pensées divaguent, chemin de fer et vélo, ce n’est peut-être pas vraiment l’idéal, et les dromadaires sont encore bien plus logique. Des fois, je me dis qu’un vélo est aussi un boulet au pied pour certaines régions. Mais c’est pas du tout le moment d’y penser, car quand faut-y-aller, faut-y aller.

Alors pour me rassurer, je me repasse sur mon portable, admirant les photos de l’aventure d’un jeune australien de 20 ans en 1930, dont j’ai eu l’honneur de rencontrer son fiston Ron, aujourd’hui 80 ans, et sa compagne, Jan. Il y a deux jours, alors, que je m’étais avachis au bord de la route au sud de Leigh Creek, après avoir traversé les Ikara-Flinders Ranges comme une fusée, j’aperçois une antenne et une maison, je me dis que je vais camper dans le coin. Alors, je toque à la porte pour demander l’autorisation. Les vieux pickups rouillés donnent un style façon Las Vegas Parano (Fear and Loathing in Las Vegas 1988) au milieu du désert, et je ne m’attends pas du tout à ce que cela soit, Jan, une petite dame au look babacool, bien coiffée, et ultra alerte qui m’ouvre.

Jan note immédiatement mon vélo au fond de la cour. Au départ, elle me propose de camper sous le hangar, puis rapidement, Ron, son mari, fait son apparition dans le cadre de la porte, les deux pointent du doigt une seconde maison. Grand luxe, une ancienne road house pour moi toute seule, pleine de livres sur le désert, de minéraux poussiéreux et une douche chaude. Jan réapparaît timidement, m’annonçant que le papa de Ron, Richard Bach Tarr, était aussi un voyageur à vélo en 1930. Je n’en reviens pas, je la questionne, et surprise de mon intérêt, Jan part chercher un album photo. Quel trésor, je vous laisse juger des conditions, la dureté, l’audace de son périple à travers l’Australie des années 30, alors, voilà, ce soir à Marree, ça me donne du courage de regarder ces vieux clichés en or.

Bien sûr, l’incertitude est grande, je n’ai jamais pédalé sur ce genre de chemins, je ne sais absolument pas dans quel état sont les pistes, devrais-je pousser une majorité de section ?  Mais finalement, c’est forcément plus facile qu’avec le fixie de Richard des années 30.  La vie nous montre souvent à la fois ceux qui ont moins et ceux qui ont plus, à nous de choisir où regarder. Un deuxième vélo a fait son apparition dans l’après-midi, un MTB électrique dernier cri en mode back-packing-qui-doit-couter-un-bras, débarqué fraichement du bus à Farina (je n’ose pas dire qu’il nous roule dans la farine, trop tard). À son guidon, un personnage au monologue bruyant monopolisant l’attention des autres protagonistes du pub, me permettant de m’enfuir discrètement en évitant de subir à mon tour le même sort. Demain, je me part à l’aurore, incognito, je crois avoir une chance de réussir, Inchala, c’est écrit, mektoub.

Après le Lac Eyre, je peux mourir tranquille


Finalement, ce n’est pas si dur. Ma roue avant de 20 pouces passe partout, je n’ai même pas besoin poser le pied-à-terre, et je perds seulement quelques fois l’équilibre dans les bassines de graviers les plus profondes mais très rares. Il y a du passage ponctuel en 4×4, à moto et même en caravane. Pour le moment, j’avance du tonnerre, je fais 90 km entre 7h et 13h. C’est deux fois plus vite que mon pronostique, le vent me pousse, quel panard ! Un bon 15km/h sur cette section jusqu’au magnifique Lac Eyre. J’aurais largement pu atteindre Coward Spring, mais je me paye le luxe d’une nuit sur la rive inoubliable du lac immergé dans son silence hyalin. J’évite par là même, cette ribambelle de couilles en blousons de cuir qui doivent s’autocomplimenter à 200 dB pour leurs aventures à quatre roues motorisées.

Piste dure roulable, ca avance !
Rives du lac Eyre
Sur le salar du Lac Eyre


Je suis arrivée bien plus tôt que prévu au bord du salar blanc, même en ayant dû pousser mon vélo à travers une croute molle auréolée et scintillante de débris de gypse pour rejoindre le lac. Ça valait la peine, la vue depuis la tente est à couper le souffle. Du blanc au rose des rives du ciel à l’or du soleil couchant, le spectacle vaut tous les hôtels 5 étoiles du monde. Un énorme disque orange apparaîtra derrière la dune, la voie lactée s’efface doucement devant la lune rousse. J’ai l’impression d‘être la bienvenue ici. Malgré la poussière se vaporisant lentement mais surement à l’intérieur de ma tente, le vent fouettant les parois, je m’endors avec le sentiment vibrant d’être vivante. J’ai eu de très rares moments dans ma vie de la sorte, où je pourrais mourir demain, ce serait okay.

Vue depuis l’hotel 5 étoiles
Prodigieuse nuit dans le désert
Bivouac au milieu de nulle part
Couleurs du lac Eyre



Les dunes, une promesse d’un périple futur

Mes nuits sont réparatrices, d’un sommeil profond, le noir est aussi intact que le silence du désert. Chaque bivouac est doux. Comme dans un cocon, je me réveille toujours naturellement, l’obscurité à peine levée, j’ouvre les yeux, reposé, mon cerveau dans les starting-blocks, déjà en train de penser à la suite du trajet. Avant de rejoindre les tons pastel du désert et de son ciel hivernal à tour de pédale, je m’installe dans son silence, et ne fais rien de plus que méditer.

Matinées heureuses sur Oodnadatta


Après trois matins à me cailler sévère, l’idée du siècle arrive enfin, utiliser mes chaussettes en laine comme moufle. J’ai toujours radoté “une bonne paire de chaussettes sèches te fait dormir même dans un igloo”. Ces chaussettes appliquent l’un des principes fondamentaux de la permaculture : un élément a plusieurs fonctions, ce seraient donc des chaussettes résilientes… (?) ou je deviens un peu cinglé à pédaler toute seule dans ce nulle part, qui est mon quotidien depuis déjà trop de semaines depuis Byrojn Bay déjà plus de 3000 kilomètres à travers l’Australie.

Début des dunes de sables rouges



J’approche les dunes rouges avec excitation, d’abord oranges et de taille bien modeste, rapidement, elles s’imposent, ocres, si belles, tranchantes dans l’azur. C’est un rêve qui se réalise, et je me dis, qu’un jour, je voudrais y marcher, longtemps. Je monte la dune, pour déjeuner, je n’ai de cesse d’admirer les grains roses de feldspaths couler vers le pied de la dune, et toutes ses traces d’animaux… Comme une enquête sous les yeux. Une souris sauteuse du désert se cache vite sous les broussailles qui piquent, ses pattes sont si fines et si allongées, on dirait une souris de cartoon. Les fourmis sont immenses, l’une d’entre elles fait presque 3 cm.



Finalement, je prétexte intérieurement, qu’avec cette super moyenne de distance, je mérite un arrêt, baignade dans cette fameuse source d’eau chaude, c’est Oasis aux dattes et aux chocolats tenus par un couple à Coward Spring. Les journées sont si différentes, des paysages secs, jaunes en broussaille se métamorphosent en un reg de quartzites rouges comme un puzzle géant de petits cailloux à perte de vue puis les palmiers de Coward Spring.  

Coward spring
Avant Coward Spring
Même de l’amour dans le désert

Un désert multicolore vivable : Warrina à Oodnadatta

Soudainement, la végétation reprend, en touffe, en arbre ras, du vert, il y a même des fleurs jaunes, et des pâquerettes, une source, un étang, les cacatoès jaunes, et les centaines de minuscules piafs. Et puis, par moments, elles naissent du grand tout, les dunes rouges, entrecoupée d’étang asséché au fond sablonneux rose. Les vaches y laissent leurs empreintes de sabots. Pédaler, au milieu de tout ça, fait oublier la rudesse et l’équilibre instable des sections sablées et pavassées. Le silence est si enveloppant que j’aurais l’impression d’interrompre quelqu’un si j’écoutais de la musique.

Si on m’avait dit que le désert pouvait être vert, cela fait parfaitement honneur au nom « Udnadatta » signifiant « éclosion de l’arbre Mulga » en langue du peuple Arrernte (région Alice Spring).  La piste Oodnadatta, dessine donc un itinéraire vivable au milieu des déserts connectant une succession de sources d’eau. Les populations premières aborigènes, notamment les peuples Kuyani (Marree), Dhirari (Sud Lac Eyre), Arabana (Oodnadatta), Antakirinja (Marla) jusqu’au Flinders Range Andyamathanta, connaissaient les résurgences naturelles d’eau issue de la nappe captive sous-jacente, connu aujourd’hui comme le Grand Bassin Artesien d’Australie.

L’eau de la nappe captive est plutôt salée (sodium ou potassium) selon les résurgences. Imaginez-vous, le Grand Bassin Artesien (1,7 million km²) sous les dunes de sable rouge, couvre presque un cinquième de la surface de l’Australie (Habermehl 2019), soit une surface équivalente à trois fois la France. Mon grand-père paternel dirait : c’est épatant.

Figure ci-contre: Localisation des sources du Grand Bassin Artésien le long de l’Oodnadatta track (tracé violet pointillé) d’après Smerton et al 2012 et Habermehl 2019)

Le mythe du « désert vide » persiste encore aujourd’hui, et pourtant du Lac Eyre au désert de Simpson, la connaissance des sources permettait aux rares populations non seulement de s’y déplacer mais également d’y vivre. La compilation des recherches archéologiques démontre déjà qu’à l’époque glaciaire ~ 25 000 ans , les Aborigènes ont dû s’adapter aux zones désertiques s’élargissant de 60% du territoire à 90% des terres, par conséquent obligeant les groupes à davantage connaitre leur environnement afin de boire et se nourrir. Les preuves d’occupations à cette époque couvrent déjà les quatre coins de l’Australie y compris le Simpson Désert (Williams et al. 2013).



Figure ci-contre: Compilation des données archéologiques datées du LGM (dernier maximum glaciaire) des zones refuges en noir, zones barrières en pointillé montrant les corridors commes celui de l’Oodnadatta track en rouge (modifié après William et al.2013).

Les peuples premiers d’Australie connaissaient également les réservoirs temporaires d’eau de pluie en subsurface accessible en creusant à quelques mètres de profondeurs. La compréhension parfaite de l’habitat et la transmission de ses connaissances par des rituels, les méthodes et indices de périodes de chasses, l’écoute, le respect et l’observation de la nature, le sentiment de se considérer comme partie entière de son environnement, tel le lien unissant une mère à son enfant, constituaient et constituent encore aujourd’hui ce que toutes les myriades de groupe Aborigènes dénomment communément La Loi.

J’ai eu la chance de comprendre ce que signifiait cette notion de loi, en rencontrant Dr Gondarra et son petit-fils Theo Burarrwanga de la communauté Elcho Island (Northern Territory) lors de la projection du documentaire Luku Ngärra: The Law of the Land, signé de la réalisatrice indépendante Sinem Saban.  

.  

Après William Creek, les briseurs de silence se font de plus en plus rares, 4×4 ou motards sont audibles 5 minutes avant d’être aperçu. La forme du nuage de poussière dans mon retro m’indique la vitesse des bolides. Si je ne fais pas signe de ralentir, ils me dépassent comme si je n’existais pas. J’ai croisé un seul road-train de 2 wagons, pas trop furax mais son nuage, cumulonimbus du désert et visible à des kilomètres. Sur ce genre de piste et chargé de 100 bestiaux, ils ne peuvent tout simplement pas freiner ou tourner, ce sont tant les trains de la mort pour les pauvres vaches, que pour moi.

Les dip : bassine de sable
Encore perdu au jeu de l’équilibriste
Gagné, les toles ondulées de sables ça passe parfois


La piste est de plus en plus difficile, je tombe souvent au fond des « dip » (point sec sableux de passage des rivières) car je joue à l’équilibriste mais je perds souvent. Un soir, dans mon feu de camp sous la voie lactée, je remercie tous mes ancêtres passés et présents, pour m’avoir offert les capacités d’être là aujourd’hui. À travers mes pensées en chemin, les méditations et les épreuves, c’est un passage à l’âge adulte, un peu tardif, certes. C’est encore difficile à décrire, c’est un nouveau sentiment, celui du temps qui passe, de ce que je peux transmettre, de ma responsabilité, et de ressentir cette étrange urgence à veiller à garantir une vieillesse tendre et aimante, tant avec mes proches, qu’avec les ancêtres d’autres familles.

Montées de Oodnadatta à Marla

Les collines rouges monopolisent l’horizon, mon chemin semble sans fin. Un fond de rivière aride sableux, une montée instable, un faux plat montant sous le cagnard, et rebelote. Mais quelle montagne suis-je donc entrain de gravir avec un horizon si plat ?

Touche d’humour Australienne: “Breasts, lips and curves” , je rigole moins car ça monte.

La joie laisse place à la résistance, pas un dingo, pas un émeu, rien, nada, que nenni. Les oiseaux sont partis, ici, c’est d’un ennui à mourir, dix longues heures, pour arriver à Oodnadatta. Le village me laisse une impression de zone d’errance, sans vie le jour, et colérique la nuit, sous les disputes alcoolisées, je me dis que le désert est bien plus sécurisant finalement.

La fameuse Pink road house d’Oodnadatta avec le panneau donnant de l’espoir étant parti de Brisbane il y a 2650 km.


Pas de repos, le vent de face arrive, il faut partir avant, j’enchaine, je laisse le cerveau à Oodnadatta et je pédale. Sur ces lignes droites sableuses, j’aperçois un hélico rassemblant les troupeaux, aidé de trois mini-4×4 au sol.  Où sont donc les légendaires cavaliers rassemblant le bétail ? Bien moins sympa, bruyant et polluant, sans parler des vaches traumatisées en situation de prise d’otages façon jeu vidéo GTA (après avoir écrasé un passant pour obtenir les étoiles).

Les vaches sont rassemblé à grand tour de 4×4 et d’hélico

Le soleil se couche, le sol se transforme en une vrai route, la végétation grandit, et je découvre Marla, un peu euphorique pour une simple station essence – c’est fini, j’ai réussi. Deux émotions me saisissent, heureuse d’avoir réussi, et nostalgique de quitter ce silence. À ce moment-là, j’aurais envie de raconter à n’importe qui que c’était génial, dur, mais pas si dur, beau, épatant. C’est sur Monsieur Balyr, un chercheur d’opal que ça tombe. Poussiéreuse, avec mon bronzage zébré, mes fringues troués et tachés, je me demande bien comment ce brillant opportuniste me lance : « tu dois avoir des courbatures, si tu veux je peux régler ça avec un massage ». Je suis tellement fatigué que j’éclate de rire, le laisse incongru, refusant sa proposition en fou rire.

Marla et ces road trains

Marla est assez inintéressante, mais la dame de la cafeteria me fait le camping gratuit, j’en profite pour me reposer, nettoyer le tas de poussière que je trimbale et réparer mon rétroviseur cassé lors d’une chute, un porte bidon tordu, revisser, huiler la machine pour les prochains kilomètres.

Je ne sais pas jusqu’au je vais, mais pour le moment j’y vais.

+ lecture

+ Cartes

  • Carte Oodnadatta road house
Carte géologique
Carte géomorphologique

Publié par Sandrine

Sandrine ROY | circumnavigating the globe since 2020 and cycling across the continents.

3 commentaires sur « Oodnadatta Track on my recumbent bike »

Laisser un commentaire