De l’ocre à l’azur, la Traversée de l’Australie Partie II

Avoir envie d’avoir envie est parfois si simple et intuitif, et d’autre fois si loin et inatteignable. Pour me remettre en chemin, d’une certaine manière, je marche sur les lignes écrites avant le décès de ma mère. Les kilomètres pédalé, les gens adorables rencontrés, la poursuite toujours plus à l’ouest vers le soleil couchant tel Xavier Rudd. Je me replonge dans des images colorées, positives et énergisantes.

Replongeons-nous ensemble de l’ocre à l’azur, du désert de Simpson à la mer de Timor.
Vous découvrez ici, l’étape centrale australienne après la traversée de l’Oodnadatta track
(Partie 1 ici).

Désert et retrait mental 
Syndrôme Post-Oodnadatta
Uluru, l’île perdue
Kata Tjuta, petite sœur
Nuit blanche
Rencontre surhumaine de « The Track »
Plus cinglé que soi
Fausse excuse
Mataranka, la délivrance
Mantra du jour : Avancer, avancer, avancer

De l’ocre à l’azur

Itinéraire à vélo couché

Désert et retrait mental 

Après cette splendide étape dans le désert de Simpson, la fatigue physique avait laissé place à la fatigue mentale. Les jambes pouvaient pédaler sans limite mais le cerveau ne suivait pas. Ennuie, monotonie du paysage, vent de face, road-trains, et solitude, font de ce passage du centre de l’Australie une épreuve de résistance pour tous les cyclos qui s’y aventurent. Pourtant, j’ai continué à tirer des bords vers Uluru.  

Petite face au roadtrain
Marla

Syndrôme Post-Oodnadatta

Il y a un avant et un après Oodnadatta. Le lendemain est comme un dimanche soir quand tout le monde rentre chez soi après la fête. Perdue dans l’ennuie de n’avoir de confident, avec qui blaguer ou philosopher, je n’arrivais plus à pédaler avec le cœur en joie. Je rencontrais de nombreuses personnes sympathiques, mais rien ne suivait après les sempiternelles présentations, where’u from ?  amazing, no way, all the way from Brisbane, crazy you, so dangerous girl, good luck, et hop, ils claquaient la porte du pickup et disparaissaient dans un nuage de fumée. Je m’arrachais donc de Marla, la station-essence-camping de la fin de l’Oodnadatta track avec le cœur lourd.

Ma lenteur se mélangeait avec les souvenirs hauts en couleurs du désert mais j’avais du vague à l’âme bien que loin de l’océan. Les nuits à la belle étoile me réconfortèrent mais je démarrais tard ces journées qui n’en finissaient pas. Darwin semblait au bout du monde et pourtant j’avais déjà parcouru les deux-tiers de ce continent. Je n’arrive ni à réaliser, ni à apprécier l’étape, mon cerveau bug sur le négatif, la distance qui reste devant moi, je vois le tier vide, plutôt que les deux-tiers pleins du verre.   

Souvenirs du désert de Simpson

Uluru m’exposait à un véritable détour de 500 km, qui me semblait inutile, j’étais à deux doigts de continuer sans m’y arrêter lorsque je fis la rencontre d’Andrea et Zac, de Malte et de Sardaigne respectivement.

Andrea
Zac
Nami



À l’arrière de la road house de Kulgera, nous faisons connaissance assis au pied de leur vieux van. Ils roulent en Hiace bien retro et rouillé, on accroche direct, on se raconte nos vies comme des vieux copains. Je leur avoue ma motivation plus basse que terre. J’ai presque envie de pleurer quand il me parle d’Uluru car je sais que j’ai abandonné dans ma tête. Le lendemain Andrea ouvre la porte coulissante du van, les lunettes de soleil sur le pif, il me dit : « allez pose ton vélo à l’intérieur on t’emmène ». Le vélo est chargé à 7 heures pétantes pour les prochains 250 km, serré les trois sur la banquette avant, on rigole, on blague, on chante, les paysages défilent si vite. C’est totalement réjouissant d’avaler ces kilomètres à la « vitesse normale des autres ». L’étincelle de vie se rallume. Les yeux rivés sur l’horizon, on exulte à la vue du rocher. Yiiiiiihaaaaaa.
Nous passerons chercher Nima la chérie de Zac en passant proche d’Uluru.

Virgillia Multa, Ininti at Muruntji (Ikunthi artist)
Janice Stanley, Pantu – Salt Lake (Ernabella)
Martha Protty, Kungka Kutjara – Two girls (Tjariirii)
Nita Williamson Kaliny-Kalinypa, honey Grevillea (Walkatjara artist)

Uluru, l’Île perdue

Telle l’île perdue au milieu de l’océan d’ocre, ce rocher flotte dans le désert, pile au centre de l’Australie. Pour celles et ceux, qui n’ont pas encore eu la chance de s’y rendre, il faut bien comprendre la taille et l’ancienneté de cette formation géologique pour s’imaginer l’attraction multigénérationnelle d’un simple caillou.

Environ 550 millions d’années, lorsque le sable composant la gigantesque arkose fut déposé à Uluru, l’Antarctique était alors encore rattaché à la marge sud de l’Australie, comme l’étaient également l’Inde et Madagascar à sa marge ouest. Uluru est né sur le célèbre super continent Gondwana.

Quand je me tenais à ses pieds, tête levée sur ses courbes titanesques, aucun nombre, aucunes explications n’eurent d’importance. Dans les battements de mon cœur, je percevais la force de ce lieu sacré, nul besoin de mot, je devinais les milles et une générations s’y rassemblant, jouant dans les trous d’eau, et s’adressant à l’univers. Quelques rares lieux sur Terre semblent atteindre un tel niveau d’universalité, je pense à Castle Hill en Nouvelle Zélande, Suwarrow au cœur du Pacifique, aux rondeurs verdoyantes du Haut Jura, et Uluru.



Malgré tous les touristes, malgré la horde d’instagrameur en van, malgré les faux guides aborigènes, la beauté de ce lieu a de magique qu’il n’est nullement nécessaire de venir avec une camera ou tout autre artifice pour ce souvenir, car Uluru vous marque en plein cœur, là où ça vibre. Vous vous souviendrez toujours de l’intensité des lignes, de l’écho dans ses grottes, du tranchant de l’azur sur l’ocre.

Un petit tour à vélo couché du rocher
Des amis, du fromages et du vin ahaha, on retrouve les racines européennes !
Ils ont même pensé aux fromages et au vin les coquins !
Andrea aux crayons


Avant de repartir Andrea me fait découvrir sa groovebox, une table de mixage polyphonique minimaliste qu’Andra ne quitte jamais. Le dernier matin, à l’aurore encore gelée, Andrea nous fait l’honneur d’une impro au pied du rocher sacré.

Les copains sont partis aussi vite qu’ils sont rentrés dans ma vie. Quelle intensité ce voyage ! Leur rencontre était comme une bouffée d’air frais. Alors qu’eux arriveront à Darwin en quatre jours, moi ce sera en quatre semaines, encore 2300 km. Ça pique.

Kata Tjuta, petite sœur

Avec toutes ces belles vibes, je trouve une nouvelle énergie et rallonge le jeu, je poursuis non pas vers le Nord direction Darwin, mais vers l’Ouest par un détour vers Kata Tjuta ou autrement appelé The Olgas.

Ce sont les sœurs géologiques d’Uluru, moins prisées, plus nombreuses, rondes et dodus, ces roches n’ont rien à envier à Uluru. Ce sont les météores (Grèce) australiennes. En explorant la Vallée du Vent, ses canyons, et ses gouffres, je rentrais dans un temple à ciel ouvert.

Malgré l’interdiction de rester dans ce parc la nuit, je ne souhaitais pas avorter ma visite, et repartir le soir pour 50 km vers le camping d’Uluru, qui coute un bras. Après avoir laissé guetter le dernier pickup repartir vers Uluru, je m’enfile discrétos dans le bush, où je dégotte le meilleur spot de bivouac de ma vie. J’ai Kata Tjuta pour moi toute seule face à ma tente, certainement le bivouac le plus insolite de ce périple en Australie, quel privilège.

Je campais entre les fleurs sauvages et les éclats de grès ocres, un corbeau est venu papoter à moins de deux mètres puis le spectacle a commencé. Le crépuscule métamorphose l’outback, en quelques minutes, de l’orange vif, je me laisse emporter dans les ocres puis le violet lavandin, enfin je me perds dans la Voie Lactée, où seule la silhouette de ce colosse brise la voute céleste, me permettant de garder les pieds sur Terre.

Au petit matin, je reprends la route, cette fois je fais face au panneau indiquant la route vers l’ouest. Ce n’est pas n’importe quelle route celle-là, c’est the Great Central Road n°4, Tjukaruru Docker River Road. Il y a des instants flashs, où je m’y vois sur cette ligne infinie du grand ouest. La ligne droite est tentante, mais ce sera pour une autre fois, Darwin m’attend.  

Kata Tjuta en arrière plan

Nuit blanche

À partir de Kata Tjuta, je fais route vers le Nord, enfin presque. D’abord, je refais la route avalée précédemment en voiture, cette fois dans le sens inverse et à bord de mon escargot jaune, mon foutu vélo couché, qui parfois m’énerve.

Cette longue route m’emmène vers Alice Spring, je passe une nuit claire derrière une dune de sable pas très loin de la route où je me fais réveiller par une bagnole qui sort de nulle part. Les phares braqués sur le buisson juste devant ma tente. Le doute s’installe, mon cœur tape fort jusque dans mes tympans m’empêchant d’entendre leurs pas.

Quatre claquements de portes. Ils sont au moins quatre. Moins de 100 m. Ils braillent, ça sent la bande de mecs défoncés. Je prie pour qu’il n’est pas vu ma tente rouge bien camouflé dans le sable rouge et le bush. Ils s’approchent, le briquet s’allume à moins de cinq mètres. Puis plus rien. Qu’est-ce qu’ils foutent à garder le silence ? Leurs pas se sont faits discrets, j’ai perdu leur position autour de la tente. J’attends.

Des claquements de portes, un demi-tour, et silence total. Cela se reproduira trois fois dans la nuit, autant dire que je n’ai rien dormi. La gelée du matin se déposera sur ma tente blanchissant également mes sacoches clôturant cette nuit blanche.



Rencontre surhumaine de « The Track »

Un second arrêt à Curtin Spring de ravitaillement puis une seconde nuit, cette fois dans une aire de repos un peu particulière.

En effet, à ce croisement, j’aperçus une ribambelle de tentes Quechua en rang d’oignons.
Bizarre… je n’ai jamais vu de Décathlon en Australie. En face de moi courent une femme et un homme aux chaussettes à mi-mollets, au sac-à-dos de trail, leur corps est griffé, un dossard et des bandages placardés sur le torse crasseux, des centaines de mouches vivant en microcosme sur leur visage et incroyable, ils ne les chassent pas. Ils sont dans un état second – qui sont-ils ou plutôt que sont-ils ?

Sorti tout droit du désert, comme des zombis au pas de course étroit, cassé, les traits tirés, c’étaient les ultra-traileurs de la plus longue course à pied au monde THE TRACK.
Bluffant.

The track 520 km en course à pied en Australie avec mes 6000 km à vélo je suis une rigolotte !



Françaises, Italiennes, Allemandes, Tchèques, tou.tes, ces femmes et ces hommes enchainent 520 km en 9 étapes, en complète autonomie, portant leur propre nourriture et bivouac sur un sac minimaliste de 9 kg sciant leurs épaules sous la chaleur de l’outback – le corps humain est sans limite.

La doyenne a 71 ans (je ne déconne pas), comme le reste de l’équipe, elle aura parcouru l’équivalent d’un marathon quotidien pendant 9 jours et elle est plutôt bien classée parmi la vingtaine de participants et les abandons.

Je rencontre Dominique, qui deviendra un ami, ultra-marathonien de 50 ans et de Bourgogne ! Pas croyable, il est de Chalon-sur-Saône !  Inarrêtable coureur, son secret est le saucisson et le fromage, Dom déteste « la satané bouffe lyophilisée » comme il-dit, « que tous les autres s’enfilent ». Il rêve grand, en essayant de battre le record du monde de marathon, il en est à son 118 ième… son challenge est d’atteindre les 200.

Dom – Ultra marothonien de Chalon-sur-Saône

Plus cinglé que soi

Vous vous demandez peut-être comme moi, quel parcours ces femmes et ces hommes ont-ils suivi pour en arriver à un tel niveau ?  Dom, comme les autres, a commencé il y a 35 ans, soit un rythme effréné de 4 marathons par an. Cela ne lui suffisant pas, il enchaina les ultratrails en Bolivie, en Namibie, au Japon, et la Diagonal des fous à la Réunion, la liste des kilomètres est hallucinante (autant que l’impact carbone au passage). Ils sont tous sur- entrainé depuis 10, 20 ou 30 ans. Cela ne s’improvise pas.  

Le seul qui aura osé tenter le coup à l’improviste s’est fait renvoyer chez lui avec un séjour à l’hôpital d’Alice Spring en moins de 48 heures.

Le lendemain, ils repartaient vers Uluru avec 137 kms à courir soit 24 H non-stop. Alors que moi, je repartais à l’opposé, même distance, mais à vélo. Je ne me suis jamais senti autant motivée et à l’aise face à ces distances.  140 km – broutille !
Ce matin-là, je les salue avec incrédulité, le moteur dans mes quadriceps, la faim qui me tenaille l’estomac est oubliée, la tempête de sable en soirée est secondaire, et je découvre ainsi une autre dimension mentale. Il est important de trouver régulièrement plus cinglé que soi.

Fausse excuse

En discutant avec ces incroyables marathoniens, je n’ose pas aborder le sujet du nombre de courses à l’internationale qu’ils réalisent ayant pour conséquence d’enchainer les trajets d’avion long-courrier. Finalement, en papotant avec les organisateurs cette course mobilise une vingtaine de participants plus une dizaine de staffs (ravitaillement, kiné, infirmiers, docteur, logistique). Ils reconnaissent, avec un soupçon de culpabilité, le nombre irraisonnables de vols internationaux annuels pour le plaisir de courir. J’entends bien leur ambition en une année Bolivie, Réunion, Australie, Japon et Pérou. Et moi, qui me culpabilisait de rentrer une fois par an en France afin de voir mon père coincé à l’hôpital depuis des mois… ça change de perspective.

Ils émettent l’excuse : « Si je ne vole pas, l’avion décollera quand même ». Sur le coup, je suis si admirative de leurs prouesses physiques que je n’arrive pas à répondre. Dans mon pédalage matinal, je m’énerve en me disant à moi-même que c’est un peu fort comme excuse. La preuve étant bien là, au début de la pandémie la plupart des avions restèrent cloués sur le tarmac, pas de demande, pas de vol. A Bourdeau, proche de l’aéroport de Chambéry, nous entendions à nouveau les moineaux et le bruit du vent dans les feuilles, nous pouvions presque entendre les gens de l’autre côté du Lac de Bourget. Alors, si chacun se trouve ses fausses-excuses et se satisfait ainsi, s’auto-convainc mollement et lâchement, on ne s’en sortira pas. Je regrette que ces belles personnes ne mettent pas leur énergie au service de notre planète, et je me désole qu’elles ne soient pas assez visionnaires afin de privilégier une seule destination internationale par an pour de tel course.

Mataranka, la délivrance

L’eau redevient omniprésente à partir de Mataranka, un village basé autour des sources d’eau chaude. Enfin mon environnement change, les arbres se diversifient et prennent de la hauteur, les matins ne sont plus si froid, je vois enfin le bout du chemin, c’est une délivrance.

L’eau cristalline de Bitter Spring à Mataranka me redonne un peu d’énergie et je campe incognito au bord de la source, la rivière bleu turquoise au pied de la tente, pas de croco ici, mais de nombreux sangliers, des serpents, même des tortues d’eaux.

A l’aurore, en sortant la tête de la moustiquaire, j’aperçois les volutes la rivière chaudes suspendues dans la forêt tropicale, les rayons transpercent les feuillages illuminant le lieu exact où je plongerai après mon thé. À cette heure-ci, les touristes dorment dans leur camping-car, les wallabies grignotent tranquillement l’herbe et moi je nage dans mon plus simple appareil dans ce petit paradis. 

Mantra du jour : Avancer, avancer, avancer


J’enchaine les grosses journées à 140 km pour rejoindre les Gorges de Katherine, Pine Creek puis Adelaïde River, où la chaleur devient étouffante mais peu importe l’inconfort, j’avance, coûte que coûte, avec une seule chose en tête revoir la mer. A Katherine, je suis accueilli par un couple de « Warmshower » Magi et son compagnon, nous visitons ensemble sur une journée la région.

Deux jours de pause pas plus car je ne veux pas trainer, d’autant plus que j’avais une liste de capitaines à rencontrer pour l’Asie, une régate possible le 23 juin et peut être une petite chance de revoir Steve, qui venait de bifurquer après le Tanami Track. 

Steve, avec qui j’ai partagé le début de ce tour du monde, ne sortait pas de mes pensées malgré tous mes efforts. Même si la chance de le revoir était minuscule, malgré que je me répétais d’oublier, que j’étais certaine d’avoir bien avancer sur ce terrain-là, mon cerveau en décidait autrement, à fabriquer tout plein d’hypothèses, où et comment je pourrais l’intercepter sur cette route.

Je n’y croyais qu’à moitié, allais-je le revoir après plus d’un an sur des routes séparés ? Comment allais-je réagir ? Je me suis souvenu des paroles d’Olivier Peyre, baroudeur à vélo avec sept années au compteur pour son tour-du-monde, sur le pas de sa porte à Saint-Martin-d’Hères : « Tu sais pour vous deux » [silence] « Ce n’est jamais simple en périple au long court. Ça ne l’est pour personne. Ne laissez personne décider à votre place. Ce que vous vivez, rares sont ceux qui peuvent comprendre une aventure pareille, à vous d’être créatif ».  

***
Au prochain récit … Darwin !


Publié par Sandrine

Sandrine ROY | circumnavigating the globe since 2020 and cycling across the continents.

Un avis sur « De l’ocre à l’azur, la Traversée de l’Australie Partie II »

  1. Merci Sandrine
    Tu écrit si bien
    je connais un peu tout ce que tu partage autour de Uluṟu
    Ton courage et ténacité est exemplaire à trouver des forces dans tout ce que tu vie
    Ne t arrête pas j ai hâte de lire la suite 1km à la fois bise
    Olivier

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