Un vélo couché dans la Main Dividing Range

Vélo couché Main Dividing Range

Personnellement, cette étape était un test pour confirmer si j’avais les jambes, le moral et si le matériel était prêt pour du dénivelé et de la piste australienne. Entre imaginer en être capable et le faire, il y a un petit gap à franchir. Surtout que seule, il n’y a pas de back-up, où une autre personne pour aider, c’est la loi du « tu te débrouilles avec ce que tu as ».

Pour les pressés un résumé express en vidéo
depuis Mullumbimby jusqu’au décollage de Manilla

Mullum – Theresa Creek 110km +930 m
T.C – Drake 50km +710 m
Drake – Bluff Rock Bivi 74 km +1420 m
B.R.B – Matheson Bivi 99 km +1000 m
M.B – Bundarra 98km +960m
Bundarra – Manilla (dirt road) 107 km +900m


Northern Rivers

En mars, fin d’été Austral, c’est frais le matin ~ 10°, mais ça devient encore vite la fournaise en journée ~35-38°. Cette route m’a été conseillé par un multirécidiviste de Byron-Sydney à vélo, Dave de Mullum. Il avait parfaitement raison, les collines de Lismore sont magnifiques, elles tournicotent au fil des rivières sous les bois et la brume matinale. Partout les bivis sont simples d’accès, proche de ruisseau, au calme. Côté équipement, tout est réussi pour des énormes dodos en nature.

Main Divide


J’attaque la Main Dividing Range et ses forêts d’eucalyptus à l’infini, qui sont taillées de sorte que le soleil continue bien à me cramer jusqu’à 16h. Mise-à-part, les tuyaux qui surchauffent sur une n-ième côte, tout roule, les jambes suivent. Un homme s’engage sur le petit chemin, où je m’étais justement mollement étalée. Je lui fais signe que je ne suis pas encore morte. Il revient à pied, accompagné de sa compagne Jiliana et d’un sorbet pomme, engouffré en deux secondes. Le couple m’invite chez eux, repas chaud, lit tout doux, waou, ça change de gamme ! Le lendemain, Jiliana glisse deux livres sur le Christ dans mes sacoches, tel mon châtiment en portage d’avoir été si bien accueilli. Chaque gramme compte. Dans toutes les prochaines côtes, j’y penserai, soit je lis très vite et ils virent, soit ils tombent dans la prochaine boite aux lettres (95 km plus loin).

Hautes plaines

Du niveau de la mer, je pédale maintenant entre 800 à 1000 m d’altitude, dans les hautes plaines, où le bivouac semble vite compliqué, entre les immenses champs cultivés, délimités de barbelés sans discontinuer et les villes où on me dévisage. Je me retrouve dans un bivi assez minable entre la table et la cheminée d’un refuge, ça sent la pisse avec une couche de cendres que vaguement je balaye à l’aide d’une branche d’eucalyptus. C’est carrément plus sécurisant que le plan du guitariste du supermarché Cole qui m’invitait chez son amie au regard sous acide. Yonathan m’avait prévenu, “Tenterfield you will see, it is very bogan, don’t stay”.

L’expression « bogan » en Australie peut être utilisée de plein de manières différentes. Pour le moment, trois d’entre-elles ont désigné respectivement un type à la coupe-mullet, l’ouvrier super-sympa mais à l’accent très prononcé, ou une personne pénible, lourdingue et sous drogue. On pourrait traduire chez nous, « Beauf ». 

Pick-up, Pub & Patagonia  

J’en suis à mon quatrième kangourou mort et deuxième wallaby vivant. C’est pas le quota de rêve, mais d’être surprise par un wallaby qui déboule perpendiculaire à la route me fait tordre de rire à chaque fois, on dirait le lièvre toujours en retard dans Alice au Pays des Merveilles. Bien sûr toujours pas de koala (légende attrape touriste).

Les rares pick-up de cette route montagneuse prennent large pour doubler, c’est plutôt cool. Cependant personne ne s’arrête pour papoter, seulement un léger signe de la main ou juste de l’index, très correctes ces Australiens. C’est dingue la différence avec les pays d’Amérique Centrale où ça tchatchait vitre baissée en roulant à mes côtés. 

Se laver dans la rivière juste à la descente du pédalier est un luxe. Le spot n’est pas encore trouvé car les abords du ruisseau sont entourés de fermes, façon Estancias Patagonnes. Ces grandes propriétés regardent toutes vers le bon spot de bivi facile. Je vais devoir remballer mes affaires déjà étalées pour ma douche et circuler dans les petites routes du coin. Rapidement je trouve un enclos équestre abandonné à l’abris des regards. C’est (hipp)épique, le crépuscule enflamme les eucalyptus, l’enclos et ces ferrages donnent vraiment un air de Pampa-Guanaco, la frontière Chili-Argentine au cœur de la Terre de Feu. Quand on goute une fois à ces grands espaces, on est accro, ils nous apprennent tout, ces expériences se rendent utiles en permanence. Dans la pampa ce soir, je réussis à enchainer mantra, pranayama, méditation, et du coup je me sens comme à la maison, bien dans ma peau et j’ai un sommeil d’or. L’efficacité de ces exercices de yoga est redoutable.

Le lendemain, après une autre centaine de kilomètre, le pub m’offre le coca « récompense » et un carotte-cake bien mérité. Les sorties de chantiers finissent sans exception dans le seul pub de Bundarra, des quinquas aux trentenaires, tous semblent se demander qui est cette étrangère et son engin garé devant leur pub. Certains gagnent l’attention des autres en racontant que c’est la “bike-girl” qu’ils ont croisée ce matin en amont. Ils chargent la propriétaire, une dame en tunique bleue accordée à ses traits de crayons surlignant les sourcils qu’elle n’a plus, de me questionner. Tout y passe, ma famille à mes intentions, destinations, raisons et motivations. Les anciens du pubs sont finalement très sympa, intéressants et curieux. La patronne me regarde d’un air de mère, soit fier de toi dit-elle, ici tu crains rien, la douche et l’eau sont au fond du parking. Son regard me touche, mais je continuerai en me trouvant un bivi pour une douche-rivière ; les abords de pub, c’est pas girly après 20h.

Bundarra – Manilla une piste en course poursuite avec l’orage


Six heure, je levais le camp à l’aurore alors que les caravanes dormaient encore. L’orage devait être là, il est au rendez-vous, noir, juste au-dessus de la direction à prendre. Je m’arrête remplir l’eau à l’unique commerce, les dames me confirment, « ça va craquer » , mais détendues (plus que moi) me répètent « les pistes seront un peu glissantes mais ça passe » (en pick-up ?). Après 15 kilomètres dans les graviers, je suis à deux pas des éclairs et le tonnerre gronde, les kookaburras se sont tus et tout s’assombrit. La frousse me prend – et si les éclaires ne tombaient pas très loin ?

À deux c’est plus facile. Toute seule, je me pose souvent la question si je ne fais pas une connerie. Les eucalyptus brulés, témoin des foudres passées, complète le tableau des signes tous au rouge, et je ne sais plus bien pourquoi je continue encore à pédaler dans ce sens. Pour me raisonner, face à ma flemme de refaire la même route à l’envers, je me dis, c’est comme en mer ou en montagne, si tu peux éviter l’orage, barres-toi, sinon prépares-toi ! Ce demi-tour à contre cœur me tire dans les cuisses mais les grandes lames d’eau couvrent presque 180 degrés de mon horizon.

J’arrive à la case départ, l’air bête, et bien sûr l’orage me contourne par le Nord avec un ciel qui s’ouvre. Si j’attends au village, demain sera pire apparemment. Manilla est volable dans 48h. Je décide de repartir, malgré avoir perdu 2h. Je roule comme une dératée, les cotes sont toutes molles du gravier ocre imbibé de pluie, mais les oiseaux se sont remis à chanter. Les pistes en tôles ondulés n’ont aucune pitié de mes gourdes mal attachées, deux seront éclatées sur cette étape. À midi, ce sera 15 minutes de repos, l’horloge tourne, ça va tomber sur moi. J’ai rejoint la route asphaltée mais le dénivelé me pique les cuisses, la dernière montée avant Barraba est sévère, je me jure de m’arrêter au village.

L’ambiance à Barraba est étrange, la caissière me fait une histoire pour 5 centimes et après une vérif météo, demain sera vraiment pourrie et je risque d’être coincé à seulement 40 km de Manilla !  Je repars, sans savoir où je puise la ressource. J’exulte de joie en voyant dans ce virage à droite une pancarte en forme de parapente, c’est Fly Manilla Campground. Il me reste 4 km de piste pour rire de fatigue. Les pilotes locaux sont chaleureux, ils me servent un poulet curry et du vin rouge, mais me parlent de Steve, mon ancien compagnon de route. Ça me serre le cœur de l’évoquer, ça faisait si longtemps que je n’avais pas croisé quelqu’un qui le connait. C’est dur d’être là, sans lui. Malgré la joie d’avoir évité l’orage, réussi cette semaine-test et confirmée mes capacités, je n’arrive pas à raisonner mon cœur, et je m’endormirais avec une boule au ventre. Le cœur, lui, n’a pas encore passé le test.

Le sourire revient vite car le lendemain, un rêve de plus au compteur se réalise. Demain ça vole et même les Kangourous sont au rendez-vous au décollage – Yipppppa

Kangourou du déco

déco Nord Est de Manilla







Publié par Sandrine

Sandrine ROY | circumnavigating the globe since 2020 and cycling across the continents.

10 commentaires sur « Un vélo couché dans la Main Dividing Range »

  1. Bravo Sandrine
    Joyeuses Pâques
    Beaux progrès et bon vol à Manille
    Désolé d avoir manqué ta soirée de célébration pour ton départ du Byron Shire
    Impatient de te lire à nouveau tout nos souhait de courage et de persévèrence
    nous avons des amis à Gunnedah si tu as besoin il s on une plantation de d orangers et sont très sympas
    Cecelia Olivier
    Bises

    1. Merci Olivier et quel plaisir de recevoir tes encouragements. Je suis déjà au Sud de Gunnedah, entre Coolah et Mudgee, je descends vers Katoomba. Si tu as des contacts dans ce shire là, n’hésite pas ! Bises

  2. Super récit ! Regarde devant, la vie est belle, fonce, savoure et laisse le temps faire pour le reste…

  3. Un plaisir de te lire, et quelle niac après tant de km déjà parcouru ! Tu t’autorises de faire du stop si un pick up te propose de t’avancer ou seulement vélo ?
    L’image de kangourou qui traverse la route à toute vitesse en groupe telle une caravane me parle beaucoup et m’a fait beaucoup rire aussi. Bisous de Bretagne ou je démarre un trip en vélo aussi, 10j seulement et j’ai déjà mal aux fesses d’avance 🙂

    1. Hey Louis, merci. Des pickups m’ont proposé mais pour le moment je roule bien, donc j’ai refusé et ils m’ont vraiment pris pour une taré du coup. AÏE La bretagne, ca pique, ya des belles cotes, profite bien !

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