Don’t count the clouds, touch them instead

Waou, j’ai encore la tête dans les nuages. Les frissons d’une immense liberté m’hérissent les poils en écrivant. J’ai gouté pour la première fois au vol « de distance » dans le ciel de Manilla, de Nouvelle-Galles-du-Sud en Australie, vous n’avez pas loupé de chapitre, je ne suis pas encore aux Philippines.

Dans le ciel de Manilla, NSW, Australia



Un détour vers le Sud

En quittant la côte Est Australienne pour le Sud, c’est un détour à l’opposé de ma destination de sortie Darwin. Grâce à cet itinéraire, je m’offre deux rêves, voler à Manilla et visiter les Blues Mountains. Malgré la rallonge en kilomètre et donc en temps dans la saison de voilier, je suppose que ça vaut le coup de prendre le risque.

Au beau milieu des hautes plaines de l’Est, les collines agricoles et ses champs de vaches ne constituent pas vraiment une destination phare du touriste lambda. Et pourtant, Manilla est l’un des meilleurs sites mondiaux du vol de distance, perché à 900 m sur le Mont Borah (vous pensez aussi à Borat du Kazakhstan ?), les lignes infinies de cumulus se forment rapidement, laissant les parapentistes gravir ses thermiques et parcourir ainsi des distances colossales.


Manilla, record d’altitude de la pilote Ewa Wisnierska

Pour être honnête, il y a encore quelques mois, je ne savais même pas que Manilla existait ! Néanmoins, sans le savoir j’en avais entendu parler de nombreuses fois depuis mes débuts dans le parapente à travers l’histoire légendaire de la pilote Ewa Wisnierska.
Quoi, vous ne la connaissez pas ?  

Ewa explosa le record d’altitude en parapente en 2007 à Manilla, où elle ressortira miraculeusement vivante. Les championnats du monde de parapente étaient accueillis à Manilla par l’un des meilleurs pilotes australiens de l’époque, Godfrey Wenness, lui-même ayant détenu pendant longtemps le record de distance en 1998 avec 335 km en parapente. Aujourd’hui, on dépasse les 600 km en ligne droite sur des vols au Brésil et au Texas.  
Ci-contre: Vue vers le Sud de Manilla

Ewa Wisnierska se fera aspirer lors d’un vol d’entrainement par un cumulonimbus à des vitesses verticales magistrales de 20 m/s (+70km/h). Son ascension est suivie en direct grâce à son live-tracker et GPS. Malgré son expérience et tous ses efforts pour engager une descente radicale, rien ne pouvait arrêter son ascension vers le sommet de l’orage, à travers les grêlons et la foudre pour être expulsée à presque 9 946 m, inconsciente, en hypothermie, en hypoxie, et le parapente enveloppé d’une couche de glace. Son aile s’effondrera sous la masse de glace, puis se rouvrira miraculeusement lors de sa chute vertigineuse et Ewa reprendra conscience avant d’atterrir sur le plancher des vaches.
+ info sur Ewa avec le documentaire Paragliding Miracle
Ci-contre le déco Nord de Manilla


Brevet de Pilote PG4, théories et cross- tandem

En ce mois de mars, les orages effectivement se succèdent dans les premiers jours de mon passage, ne permettant que des vols expéditifs de 10 minutes. En attendant qu’une météo favorable s’installe, entre deux parties de Backgammon avec Nir et Dusty, les crêpes, elles, volent dans la cuisine commune et je file des coups de main à la cheffe du campement, Elisabette, en échange de quoi, je reste gratuitement sur place.

Le noyau dur. : Dusty, Nir, Luke, Matthew, Mickeal, les pilotes presque permanents à Manilla, en plein soirée burger BBQ et muffin deLuke <3.
Cours Cross-Country Féminin
Après la pluie, obligation de montée à pied au décollage, il parait que ça monte un peu.

Avec la pluie, le camp est calme, et je partage mon quotidien avec le noyau des pilotes locaux, Dusty, Matthew, Nir, Luke et Mickael autour de discussions sur la pratique, plongé dans les bouquins de théorie du vol distance, me permettant de préparer l’examen de pilote PG4, équivalent du brevet de pilote en France. Mise à part des questions à l’examen très étrangement formulées, la fédération SAFA, équivalent de la FFVL a pas mal d’humour, je vous laisse apprécier de vous-même la question 48 :

Extrait de l’examen du brevet de pilote en Australie PG4

Fly-Manilla est aussi une école de parapente, et j’ai la chance de partiellement suivre un stage de cross enseigné par Godfrey. J’apprends comment se déclenche un thermique, les facteurs favorables collecteurs, visualiser la forme de l’ascension et à lire le paysage et ses nuages pour évoluer efficacement. Je réalise surtout tout ce qui me reste à apprendre. Mon équipement est génial pour du hike & fly, autrement-dit du vol-rando léger et local, mais pas du tout adapté ni sécurisé pour rentrer dans de fort thermiques.

Ci-contre: le camp Fly-Manilla, et l’attéro surnommé The Farm.

C’est pourquoi, dans un premier temps j’accepte la proposition de partir à deux en tandem-cross avec Nir Eshed, instructeur et pilote très expérimenté. L’occasion est unique, d’observer son pilotage, sa lecture, et d’être corrigé pour gagner en précision. Moi qui n’ai jamais volé en tandem, j’appréhende de laisser les commandes.

Nir explique en vol où trouvez le noyau des thermiques, où ça monte le plus vite, mais également de comprendre comment rester dans son ascendance et prendre de l’altitude efficacement. On enroule en spirale asymétrique pour suivre les géométries variables des thermiques. L’objectif est de faire varier le rayon de virage avec la commande extérieure (cadencement en français) et accélérer/ralentir l’extérieur de l’aile suivant la direction du vent et la géométrie du thermique.

Un fort mental est une des clefs. En effet, observer tou.tes ces pilotes confirmé.es soudainement prenant un cap vers une potentielle ascendance, sans détour, sans pinailler, sans enrouler en chemin des petits thermiques moins exploitables, leur permet de ne pas perdre d’hauteur. J’apprends donc à avoir confiance en mes prises de décisions.

+ Regarder l’atelier Wingmaster: Forme d’un thermique et Rester dans le thermique




Cross-country – “sortir du bocal

Le ciel est encore bleu lorsqu’on monte au déco. Mon aile sera une Cosmos Flow en 22m², je suis un peu trop légère sous cette surface car je garde ma sellette de 300g Kortel, cela m’envoie donc en catégorie plus technique (EN-High-B). Les beaux jours attirent rapidement plus d’une quarantaine de pilotes, ça rappelle la cohue des sites de Chartreuse de Saint-Hillaire, les jours d’été. Ce n’est rien en comparaison aux 200 pilotes attendus pour la compétition de la semaine suivante, mais je réalise que je préfère décoller au fin fond du Guatemala sur des pentes moins prisées mais où le silence règne.   

Ci-contre: Plein de pilotes femmes au décollage grâce au stage cross 100% féminin, c’est un peu moins la bousculade, ça fait plaisir !

Avec tout ce monde en l’air, une nouvelle voile au-dessus de la tête et ces nuages qui commencent à grossir à vue d’œil, l’excitation monte autant que mon parapente. J’enroule avec 10 pilotes, 1500 mètres puis 2200 mètres. Les collines se réduisent à des taches vertes, les routes à peine discernables. Heureusement que je suis arrivé ici en vélo me permettant de reconnaitre la géographie du coin.

Soudainement, tout le monde se barre dans une direction différente, c’est le moment de choisir. Je pars vent-arrière en ligne droite vers une ligne de cumulus sous lesquels je jongle d’un thermique à l’autre en flirtant toujours avec les 2000 m. J’ai perdu de vue les autres pilotes qui sous leur « gun », i.e aile de compétition, tracent à des vitesses trois fois supérieures.

Manilla m’offrira mon “PB”, comme ils disent, pour “Personal Best”, autrement-dit ta meilleure perf, avec 60 km à tournoyer dans les thermiques en flirtant les 2200 m sans transpirer, mais en grelottant, et avec des ascensions à 5m/s.

Autant vous dire, que dans ma sellette ultra légère Kortel Kruyer III, pas du tout conçu pour 2h30 en l’air et des thermiques aussi fumants, c’est comme être catapulté dans les nuages les fesses dans un sac ikea.



Au moins, je me sens libre comme l’air, ça c’est sûr. J’adore vraiment la sensation de flotter dans l’air avec cette sellette, ce qui n’est pas du tout le cas avec une sellette classique avec airbag, où on se sent assis sur une plate-forme. En thermique, ça bouge, évidemment, mais on s’y habitue vite. Sans oublier que la Kruyer III de chez Kortel Design est adaptée à la pratique du vol montagne ou du speed-riding, et moins au cross-country, le confort devient donc limité après 2h de vol, la pression sous la cuisse devient un peu gênante. Bon, ma stratégie d’une énorme doudoune + gortex, reste un peu limite avec un legging et la sellette Kortel pour avoir chaud à 2000 m, mais c’est pas non plus une journée de vol. C’était le combo parfais, et c’est tout ce que mes sacoches me permettent de transporter de toutes façons !

J’aperçois même les prochaines étapes à vélo et leurs lacs. Je dépasse des massifs aux roches rouges, j’aperçois les mines au loin défigurant l’outback. L’atterrissage au milieu des moutons mais proches d’une route me permet d’être rapatrié par un couple d’agriculteurs.
En quittant le « bocal », cette zone confortable autour du décollage, c’est comme réapprendre à voler. D’un côté, je m’aperçois des possibilités immenses du vol de distance, mais de l’autre, je réalise toutes les connaissances nécessaires pour en profiter, il me reste un long chemin à parcourir, ça me donne envie de progresser et d’apprendre !  

Les émeus du campground
Attérir au milieu des moutons
Reprendre la route


Le PG4 en poche, deux babys-cross au compteur et une énorme envie d’opter pour une aile plus performante, je repars de Manilla la tête dans les nuages, direction, les Blue Mountains.



Ci-dessous: Vols à Manilla (photo @Hammed Malik)

Publié par Sandrine

Sandrine ROY | circumnavigating the globe since 2020 and cycling across the continents.

6 commentaires sur « Don’t count the clouds, touch them instead »

  1. Bravo Sandrine, c’est magnifique. Je voyage avec toi au gré de mes lectures sur ton blog. Félicitations pour ces superbes expériences. C’est beau.
    Ce que tu décris me rappelle mes vols en planeur… et la sensation me fait penser au vol d’onde : une vraie catapulte !
    On se sent aspirée sous les nuages c’est indescriptible : libre comme un oiseau.

    Trop hâte de faire un tandem de para avec toi un jour, je serai ton sac de sable 🙂 haha.

    Bon trajet vers les Blue Mountains. Bises depuis le Bourget !

    PS: J’ai rendu mon manuscrit la semaine dernière j’ai beaucoup pensé à toi…

    1. Yeah félicitations Mathilde pour ton manuscrit, une aventure pour toi qui arrive à son terme et un soulagement j’imagine d’avoir pu aboutir ces supers travaux ! Bravo ! Hâte qu’on s’appelle un coup et que tu me racontes ça;
      Le tandem, ça doit tellement être gratifiant d’emmener ces pots en l’air ! C’est pas pour tout de suite, mais oui, j’y pense, il va y avoir quelques examens et quelques centaines d’heures de vols pour préparer ça. Un jour un jour !

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