Suwarrow, l’Ile interdite

8 septembre – Suwarrow l’Ile interdite

Des ombres au radar

Alors que les quarts s’enchaînent bien, dormant à poings fermés, soudain quelque chose heurte la coque à tribord juste à côté de ma tête. Je bondis hors de la couchette, oubliant la barre en bois faisant obstacle à ma sortie. J’enroule le paréo n’importe comment autour de ma poitrine pour courir jusqu’au cockpit la tronche enfarinée. À la tête de Paul, je dois ressembler à une martienne ou alors il est tout autant surpris que moi du bruit sur la coque, ou les deux. L’alarme de profondeur se déclenche, , quelques choses de gros passe sous la coque. On se regarde en chiens de faïence, on fonce sur les torches pour illuminer le bleu marine, rien. Le ballet des passages sous la coque continue, quelque chose suit le navire, on regarde au radar si l’animal apparaît à la surface peut être qu’on le distinguera. Mise à part les signaux réfléchis par le mât quelques masses surgissent ponctuellement à l’arrière d’Evenstar. Ces ombres au radar ne sont peut-être que des signaux parasites et le sondeur déconnerait plein tube, alors je retourne au lit, comme dans un mauvais rêve.

hisser le fanion jaune pour déclarer notre quarantaine sur l’ile interdite, le grand plaisir de Paul !
Les Cooks, ça se fête !


Un dimanche à Suwarrow

Déjà 700 miles parcourus depuis Bora Bora, et notre trajectoire se rapproche de Suwarrow, Île strictement fermée aux visiteurs depuis 2019. Suwarrow est perdue dans le groupement des îles Cook du Nord, dénomination d’archipel nettement exagérée au vu de l’éloignement sidéral entre ces îles.

Légendaire Suwarrow, instantanément je comprends Moitessier et ce que cette ile a de si spécial.
extraits carnet polynésie


Suwarrow est dans le top 3 des atolls rêvés par mes compagnons de mer, moi il était encore inconnu au bataillon. J’apprendrai plus tard que c’était l’ile préférée de Bernard Moitessier, et je partage cette impression.

Steve et Paul discutent de cette île, je découvre des scintillements dans leurs regards. Malheureusement leur joie s’éteint à l’idée qu’ils ne passeront peut-être jamais à nouveau par là et qu’il est strictement défendu de rentrer dans la passe de Suwarrow et encore plus d’y mouiller. Je suis toujours la première à me plier docilement aux restrictions administratives mais là, de les voir se résigner ainsi, c’est triste. Alors mine de rien, je lance “Qui ne tente rien n’a rien, au pire, on nous refuse l’entrée”.

Le processus de décision est agréable, chacun émet son opinion, et on décide à chaque fois d’un compromis d’un commun accord. À cette allure, l’arrivée à l’entrée de la passe se présente de nuit, configuration qu’il nous faut éviter absolument car il n’y a aucun signal lumineux sur cet atoll et les patates de corail seront invisibles. Diminuer la voilure reste encore insuffisant, alors on attendra au large à la cap, c’est-à-dire voile et barre à contre.

Navigation en approche de Suwarrow
Les touffes de palmiers dans les jumelles, ça sent bon la terre



Mon quart se termine et j’ai la chance d’être en tête à tête avec le soleil, jumelles accrochées au cou, où Suwarrow se cache-t-elle ? Quelques minutes s’écoulent et deux touffes vertes pointent à l’horizon. C’est magique, les touffes deviennent en fait des motus et chaque îlot s’aligne pour dessiner une courbe élégante nous montrons l’entrée de l’atoll. On s’engouffre dans la passe à l’étale en fin de marée basse, le soleil derrière nous éclaire le fond à 6 mètres, l’eau est totalement transparente on croit toucher les coraux. Un piquet blanc planté sur le récif indique vaguement les cailloux. Les frégates et un dauphin nous accompagnent dans le lagon, c’est une entrée matinale au paradis. L’île est habitée par deux gardiens Harry et sa compagne.

Un bleu qui ne s’oublie jamais
Les naufragés de Suwarrow



L’ancre est déposée sur le sable et j’apprends enfin la méthode de suspension de la chaîne par les pare-battages qui évitent le contact avec les coraux à quelques dizaines de mètres. Toute l’équipe est béat devant la beauté de cette terre isolée, nous sommes le seul voilier dans Suwarrow. L’appel à la VHF au garde est redouté, que va-t-on nous dire ? Deux appels mais personne ne répond. Le Capitaine n’attend pas une seconde de plus, il plonge depuis le pont et tout le monde passe à la flotte. C’est l’euphorie, les requins pointes noires s’approchent curieux de voir six jambes s’agiter dans leur eau. Je ne fais pas la maligne, je reste à côté de l’échelle, la tête sous l’eau et hésite à rejoindre les deux gaillards déjà loin du bateau qui sont entouré de trois petits ailerons.

Le Grand bleu pour moi, Apnée avec les requins
De loin ils paraissent petits, je les aime bien à cette distance.



La VHF finalement retentie, Harry, le gardien nous contacte en fin de matinée avec une douceur tranquille et nous annonce en anglais que l’île est fermée. Le capitaine répond que nous espérions l’île ouvert comme le reste des Cooks. Harry demande d’un air ouvert : Avez-vous une autre bonne raison d’être là ? Steve répond que mise à part la beauté de l’île, non. Harry écoute, marque une pause et repose la même question une deuxième fois. Nous comprenons alors qu’Harry nous tend une perche, il faut trouver une excuse officiellement à écrire dans son registre. Steve annonce que nous avons heurté quelque chose il y a moins de 24 heures et que nous aimerions inspecter la quille dans le lagon. Après enregistrement en règle du navires, Harry nous demande une faveur pour recharger ses appareils, le générateur de l’île est en panne et timidement il reprend : vous n’auriez pas par hasard un peu de tabac ?

Le reste de ses heures aux paradis resteras entre-nous, ce sont des choses qu’on oublie jamais.

Harry le maître des lieux

Publié par Sandrine

Sandrine ROY | circumnavigating the globe since 2020 and cycling across the continents.

Laisser un commentaire