Depuis quelques miles déjà, nous avons laissé les Îles Samoa dans notre tribord. Nous fonçons route tout droit sur les Fidji et sur le méridien 180°W. Je prends mon quart, premier réflexe étant de regarder l’AIS, je vois un autre voilier, très proche. C’est bien la première fois que nous naviguons côte à côte à 3 miles d’un autre voilier dans une traversée. Il s’appelle Ma Kai, et son routage estimé allait bientôt sur un petit récif non référencé sur la carte navionic mais que nous avions sur nos cartes TimeZero à bord (récif S 16°15.259′, W177°51.704′).
Je me suis permise de le contacter pour lui signaler le danger sur sa route. À 3 heures du matin à la VHF, il m’a reçu par un énorme énergétique “Gooood Morning”, on aurait cru le Morning Live (désolé pour la référence années 90). C’est bon de pas toujours être seule dans la Pacifique. Quel plaisir de s’échanger deux mots en pleine nuit au beau milieu de nulle part au large dans le grand bleu. Après vérification, Ma Kai se déroute quelques temps pour éviter le récif invisible sur son navionic.
La lune est entière et nous empêche de bien dormir mais c’est magnifique. Ma Kai, est un petit monocoque d’environ 9 mètres que j’avais rencontré sur le port de Papeete, j’avais décliné l’offre du capitaine, bien que tout à fait sympa dans le premier contact, je ne souhaitais surtout pas de tête à tête avec un homme en mer. Finalement Ma Kai était en solo en plein pacifique, comme quoi, personne n’est jamais indispensable.
Pendant mon quart, on s’approche des Fidji, et surtout de la ligne de démarcation du temps à la longitude 180°W. J’attendais avec une excitation de dingue le passage sur le célèbre méridien, mais ce fût une énorme blague.
Je descends toutes les 5 minutes à la table à cartes pour guetter le compteur GPS et ses degrés de latitudes W 178 ° puis W 179 °. Je reste pour le décompte des minutes de latitude attention … on s’approche des W 179 ° 59,97 ‘ puis W 179 ° 59,98 ‘ et là, paf, grosse blague, il n’y a pas de passage à 180°. Le compteur passe en Est et redescend à E 179 ° 59,97 ‘. Le GPS n’est pas fichu d’afficher le 180°. Mince à alors.
Bon, je sais que je suis sur le méridien qui nous fait changer de date, c’est un saut de 24 heures qui est réalisé en une seconde. Théoriquement, je n’ai pas encore vécu le 10 septembre 2022 mais dans la pratique, je le vis deux fois. Ceci arrivant presque la veille de mon anniversaire le 14 septembre 2022, j’aurais donc 31 ans avec une année de 365 plus un deuxième 10 septembre, soit 366 jours ?
Ce méridien, c’est aussi exactement l’opposé de méridien 0° de Greenwitch traversant la France. Je ne peux pas être plus éloigné sur le globe par rapport à ma ligne de départ qu’aujourd’hui.
En dépassant le méridien 180°W j’entame donc la deuxième moitié de ce tour du monde, ce serait donc déjà la route du retour ?
Dans tous les cas, un jour de moins ou de plus, j’espère le fêter comme il se doit au port de Savu Savu sur l’île de Vanua Levu. Pour trinquer, en plus de Paul et Steve Watson, j’espère retrouver des copains de voiliers de Tahiti notamment SV Jacynthe de Jean-Phi et pourquoi pas Ary du charter de catamaran.
Pour le moment, les côtes se rapprochent, toutes avec des noms qui échappent à ma mémoire. Nous laissons l’îles de Naqelelevu et Nukubasaga à tribord, et c’est Welagilala et Cakaugalu à bâbord. Je ne t’explique pas ça va être dur de demander sa route aux Fidji !
Avec ce jour de retard ou d’avance, ces îles aux noms improbables, le sable blanc et ses lagons turquoise des Fidji, je continue à réaliser mon rêve et c’est ça qui compte. Je trinque bientôt à mon anniversaire à l’autre bout du monde et à ma prochaine nav vers l’Australie – Manuia ! Santé !
