4 septembre 2022 – Quitter la Polynésie me brise le cœur.
Je sens bien que je dois tourner la page de cette étape de quatre mois en Polynésie, mais toute ma tête et mon cœur sont accrochés aux falaises des îles du Fenua. Ce n’est que mon corps qui part sur la mer et la distance qui s’étire me tiraille. Je regarde une dernière fois Bora, cette géante que je venais de survoler hier sous mon aile de parapente, qui s’aplatit dans l’horizon. Debout à l’arrière du voilier, le bateau avance, ce n’est pas à mon habitude de regarder en arrière, mais ce que j’y vois est si beau.


Le voilier Evenstar file à 7.5 nœuds, on s’éloigne bien trop vite de ces terres insulaires qui me prennent aux tripes, Tahiti, Raiatea, Huahine, Bora, et pourtant tellement d’autres îles à découvrir encore. Paul, Steve et moi, partageons nos impressions, nous sommes tous excité de commencer cette traversée mais une partie de nous est triste de partir. Nous mettons le cap au Nord-Ouest 300°, et c’est comme un petit fil d’or qui se déroule entre mon sillage et ces îles, un lien pour toujours précieux.
Routine vers les Fidji
Au vu des météos imprévisibles actuellement dans les Îles Cook du Sud (Steve s’étant pris une rouste avec son équipage du Louarn-kozh) et de toutes les contraintes migratoires aux Samoa, on décide d’un commun accord de tirer une ligne “directe” vers Savusavu aux Fidji. Ce sont quatre jours magnifiques qui s’écoulent tranquillement sous un immense soleil et sur une mer clémente. Le vent est modéré, 10-15 nœuds, et aucun nuage à l’horizon. La houle s’accorde aux longueurs d’onde de mon âme qui retrouve un peu de stabilité.
La vie à bord est si facile avec Paul et Steve, ça rigole, ça blague et on se chambre tout le temps. Chacun cuisine, à tour de rôle naturellement. Paul sort l’attirail de pêche spécial mahimahi (Dorade) glané chez Nautisport. Steve maintient sa routine de yoga, je ne suis donc pas la seule timbrée à me dandiner dans tous les sens à bord. Ça me m’est le pied à l’étrier pour continuer mon entraînement et atteindre le niveau des formations de professeur d’Ashtanga Yoga en Australie.


Je prends petit à petit mes marques pour naviguer avec les winchs électriques, l’enrouleur de grand-voile et tous l’électronique à bord. Ce bateau est une Rolls-Royce des mers mais moi je roule en Peugeot 106 d’habitude… il y a tellement de systèmes, je n’en comprends pas la moitié ! Heureusement, Paul et Steve sont patients et me montrent les principaux rouages du navire. On tente une nouvelle configuration de quart avec 4 tours de trois heures de 18h à 6h du matin, et une veille en journée plus flexible de 3 tours de 4 heures. Je n’ai pas l’habitude, j’ai une couchette pour moi toute seule, l’eau des robinets est buvable, les garçons prennent leurs douches dans des douches, oui, il y a des vraies douches qui fonctionnent à bord. Même si je trouve que c’est agréable de parfois avoir un peu d’intimité sur un voilier, je reste adepte de la douche sur le pont au seau ! Paul fait ses yaourts maison, et Steve nous envoie des énormes jams à la guitare presque tous les soirs.



Les nuits entre les Îles-Sous-Le-Vent et les Cooks.
Sirius, Orion, et le Taureau ornent les nuits de leurs scintillements, offrant à l’océan son collier de perle d’opaz. L’océan me transmet sa tranquillité, il se fait discret la nuit, comme un chuchotement pour nous endormir en sécurité.
Je pense à ma Grand-Mère Paulette, décédée en décembre dernier, aujourd’hui, le 1er septembre, ce serait son anniversaire. Cette étoile dans le ciel me guide depuis son départ. Je lis, le cœur lourd, en pensant à elle, ce recueil qui l’aurait bien fait rire. Je dévore les pages d’Histoires et Légendes des temps anciens de Tahiti et des îles, que j’ai déniché dans la petite librairie de Raïatea.. Le déluge s’abattait dans les rues d’Uturoa, ville principale de Raitea, j’y avais trouvé refuge auprès d’une gouffre au chocolat et de bons livres des Éditions Au Vent des Îles.

Nos nuits sont sublimes avec l’horizon vierge comme une ligne ininterrompue de deux hémisphères, l’un parfaitement noir pour l’océan et le second anthracite pour le ciel. Les deux s’unissent sous de petits cumulus gris dessinés par un enfant. Seuls les instruments de navigation qui m’entourent dans le cockpit rompent ce jeu de clair-obscur. Le délicat croissant de lune est accroché timidement parmi les étoiles. Dans la culture Polynésiennes, c’est à la création du monde, seul perdu dans l’immensité obscure du rien, que le Dieu premier Ta’aroa aurait sacrifié son sourire pour donner naissance à la lune. L’astre pointe ces deux extrémités vers le haut, comme posé délicatement sur un nuage.
La navigation me plait tant que j’oublie petit à petit ma peine de quitter la Polynésie. La mer la nuit me fascine, et la mer de jour me passionne, que demander de plus que continuer à naviguer.

