17 septembre 2022
C’est la première fois que j’ai du temps pour moi depuis mon départ à Tahiti. C’est aussi la première fois que je voyage seule à vélo, le monde parait plus grand, et soi-même plus petit. Le choc de la séparation avec mon ancien compagnon était passé à la trappe de tous les évènements qui me tombait dessus. Maintenant, ce sont les montagnes russes des émotions.

Étant fragile sur le plan émotionnel, je m’étais fixé un challenge raisonnable, atteindre le village de Bagata au cœur de l’ile. On m’a recommandé d’acheter deux cents grammes de racines Kavakava pour offrande au chef de village. Je dois me couvrir les jambes d’un pantalon alors qu’il fait 35 degrés et les épaules sont cachées sous un t-shirt à l’effigie de l’équipe nationale de rugby qui vient d’être couronnée vainqueur de la Coupe du Monde 2022. Aux Fidji les femmes se couvrent, c’est la règle.

À peine sortis de l’auberge, les sourires illuminent la rue à mon apparition. Nice bike – where you from ? Je fonce et ça déroule, le cœur s’allège. Que c’est bon d’être en selle. Les Fidji, c’est la Martinique en pire, les pentes sont raides et longues, les bus fument, ça sent les freins et il n’y pas d’ombre.

Je me vide de toute l’eau de mon corps et mon estomac réclame le petit déjeuné que je n’ai pas pris. Les véhicules me font signe sans exception, certains s’arrêtent demander si tout va bien. Je croise des hommes à pied qui sortent de nulle part machette sur l’épaule. Je continue sous les pluies passagères. Dans les petits villages, tout le monde me salut, de grands signes de la main, des bula bula, des pouces en l’air, des sourires et encore des éclats de rire. Les hommes semblent davantage surpris que les femmes.

À l’intersection pour Bagata, le paysage est époustouflant, les hautes collines débordent de tulipiers du Gabon laissant couler la rivière dans laquelle les enfants jouent, les maisons colorées entour le chemin de terre déjà sec.

Une femme éblouissante de beauté, porte une robe aux tissus typiquement Fidjiens, couvrant ses épaules jusqu’à ses genoux, orange et bleu océan, sa démarche tranquille permet à ses jumelles, hautes comme trois pommes, de courir à ses côtés. Les petites robes des filles s’accordent au tissu de la mère. Je dépasse un homme tout aussi bien apprêté, mais où vont-ils tous ? Il se prépare un évènement.


Les roches affleurent sous chaque sommet, comme un ancêtre protégeant sa vallée. Je rentre dans le village, une vingtaine d’hommes en sortent et me toisent sans vraiment me remarquer, un bonjour ou deux. Intimidé, moi qui pensais offrir bêtement le kavakava, je ne sais pas comment m’y prendre.
Alors je me présente, demande l’autorisation de m’assoir à l’abri. Je tourne autour du pot, je demande où ses cascades. Pas de cascades juste un barrage. C’est un homme à la stature de chef, en tenue traditionnels, avec qui j’échange. Il évoque Toulouse, Lyon et Paris, qu’il a visité il y a longtemps. C’est étrange d’entendre ces noms de sa bouche. Je repars quand la pluie s’arrête, sans avoir su trouver les mots pour mon offrande. J’entre dans le fond de vallée, pleine d’interrogations. Ce n’est pas facile d’être avenante et sociale lorsque on a le cœur à marée basse.

Je toque à une maison, demandant si je peux acheter un peu de nourriture. L’un des hommes décide de me montrer l’échoppe cachée à l’intérieur de la cuisine d’une des maisons colorées. Rien, mise à part, des biscuits secs Sao, et des pâtes chinoises. Parfait, ce sera Sao. Je mange mes biscuits en regardant les préparatifs d’une étrange cérémonie. Des femmes à l’infini en farandole portent fièrement une étoffe sans fin, et l’enroulent autour d’une dame. C’est un mariage à Bagata, et j’assiste aux offrandes à la mariée. Sur le point de partir, triste de ne pas pouvoir me joindre à eux, j’avale mon dernier Sao. Une jeune femme en robe bleue et jaune, au sourire illuminant son ravissant visage me demande, you want to come with me ? Je fais la connaissance de Die, de Bagata.

Je ne me fais pas prier. Nous entrons dans le hall communautaire sous les applaudissements de sa famille. Die est la cousine du marié. Les casseroles fument entourer d’hommes en tailleur s’occupant des feux. Les jeunes aux smartphones prennent discrètement des photos de moi, me serrent la main, me parlent tous en même temps, alors que certains me fuient du regard et m’évitent.
Die m’intègre, une grande chaîne humaine des jeunes qui se met en place, dont je fais partie, passant les plats de mon voisin Essah et à ma voisine Marica pour servir les anciens dans la salle communautaire. Mes habits gris ternissent leurs si beaux vêtements arc-en-ciel.



Ça y est les mariés entre dans la place communautaire entourée de leur famille, une marche lente, chantée et criée. Les percussions folles entraînent une danse préliminaire plus que suggestive, les femmes d’un certain âge serpentent au sol, à coup de reins, suivi d’un à plusieurs hommes autant déchaînés. Les mariés sont honorés, et s’assoient tels un couple royal sous le trône central sous le chapiteau. L’ambiance est de feu. Le repas est servi, le festin peut commencer.

Les danses s’ensuivront toutes l’après-midi et jusqu’au bout de la nuit. Et je dois repartir pour prendre un ferry direction la capitale Suva.