12 septembre 2022
Théoriquement, j’avais tout planifié, ça devait super bien fonctionner. Le voilier KYNIC pour Kylie et Nicolaas, devait m’attendre pour embarquer avec eux depuis les Fidji jusqu’en Australie. Ce voilier, rencontré dans la baie de Cook à Moorea, semblait idéal. Un jeune couple, super cool, qui cherchait à naviguer plus confortablement avec une équipière pour partager les quarts. Un plan sécu, simple et sympa. Le nom KYNIC, en français “qui nique” aurait dû me mettre la puce à l’oreille…

Pour arriver légalement aux Fidji, il est nécessaire de déclarer qui est à bord, qui débarque et avec qui je dois rembarquer, et cela depuis Tahiti. Ce formulaire est à déclarer en ligne avant le départ de Tahiti, j’avais donc fait signer tous les documents à ce fameux voilier KYNIC. Pensant naïvement que ce papier sécurisait officiellement mon arrivée et mon départ des Fidji.
Le drame frappe quand nous apercevons les côtes de Vanua Levu, la plus grande ile des Fidji. Je reçois un email satellite en mer:
« Unfortunately, we need to depart to Australia before you will arrive here to Fiji.»
Notre navire avec Steve Watson et Paul Eisson arrive dans quelques heures alors que Nicolaas et Kylie sont déjà en mer et partis direction l’Australie…et moi, je n’ai plus d’embarquement pour l’Australie et ni de plan B, et je vois déjà la tête des autorités Fidjiennes en analysant mon cas.
C’est ce qui s’appelle avoir le bec dans l’eau. D’ailleurs j’aime beaucoup la définition google de l’expression : « En situation d’être victime de ses illusions, de promesses fallacieuses ou de manœuvres déloyales ».
À ce moment-là, en mer, je relativise. Nicolaas et Kylie ont dû avoir le bon créneau météo pour partir et ils étaient relativement pressés, je ne peux pas les blâmer, ce sont les aléas de bateau-stoppeur et de la mer en général, les départs sont fonction de la météo. Mais quand même, c’est une situation de crise pour moi !
L’arrivée est belle dans le port de Savusavu, mais je stresse comme une dingue, il faut que je trouve un plan B dans les jours qui viennent, sinon ça va finir au gnouf comme mon ami Gilles en Indonésie, et surtout sans visa pour rester aux Fidji.
Le Capitaine et Paul sont clairs, ils ne comptent pas mentir aux autorités car ils veulent rester dans le coin un sacré bout du temps et légalement. Ils acceptent de me laisser arranger les choses comme je peux, c’est-à-dire, en mentant pendant 24 heures aux autorités et en leur laissant croire que le voilier KYNIC est toujours dans le coin.
Le défilé des autorités sanitaire, douanière, portuaire montent à bord avant que nous puissions débarquer. Les papiers et le navire sont en règle provisoirement, et personne ne s’aperçoit que KYNIC ne viendra pas me chercher. Le capitaine et Paul m’observent transpirer pendant mon entretien avec la cheffe du port. Je me doute que les autorités ayant les coordonnées officielles de KYNIC, peuvent les joindre et vérifier eux-mêmes très rapidement et me dénoncer. Le chrono s’enclenche, j’ai donc 24 heures pour trouver un autre embarquement petit challenge de derrière les fagots.
J’utilise toutes mes techniques à la chaine : tournée des navires à quai, tournée des navires aux mouillages, appels aux marinas de l’Ile, emails à tous mes contacts voileux en mer à proximité des Fidji, à mes contacts de Charters Tahiti, rien… tout le monde a décidé de rester aux Fidji pour au moins 3 mois. Je ne peux pas passer de message à la VHF, sinon les autorités vont avoir vent du problème. La journée touche à sa fin, c’est un échec.
Le lendemain matin, je continue ma tournée des voiliers et reçois un appel des autorités, me disant qu’ils ont reçu l’information que KYNIC a demandé sa clearance (document officiel de départ), il y a déjà deux jours sans mention de mon nom. Je dois fournir dans un délai de 12 heures, une preuve de mon futur départ du territoire, c’est-à-dire un billet d’avion de sortie ou un embarquement en mer.
Le Capitaine et Paul, semble dépité pour moi, alors que je cours dans tous les sens pour trouver un plan B. Je m’épuise littéralement, et c’est dans ce genre de moment où je rumine beaucoup trop, en repensant à Steve mon ancien compagnon de voyage, à notre rupture, à mon anniversaire que je risque de passer toute seule et sans visa, peut-être dans une cellule aux Fidji, ainsi qu’à l’absence de proche à qui me confier, mes épaules me semblent trop petites pour porter ça.
Après avoir tout essayé, je décide d’acheter mon billet à contre-cœur, Suva-Brisbane, 800 € ce qui brise cette ligne interrompue, je repense à tous ces efforts pour éviter de prendre l’avion. J’essaye d’appeler mon ancien compagnon, qui me dit tout simplement : que je suis nulle mais qui me donne le téléphone d’un potentiel voilier sur une autre ile aux Fidji (déjà parti aussi). Apparemment, je pourrais acheter un faux billet en ligne mais je n’ai pas le cran de courir le risque face au département d’immigration.
Le 13 septembre, je présente mon billet de départ pour le 22 septembre vers Brisbane, j’obtiens mon visa temporaire de 10 jours. C’est donc avec le coeur gros que je dois désormais remballer mes sacoches à bord d’Evenstar et remonter mon vélo.
C’est une bonne claque et une bonne leçon de bateau-stoppeuse.
