Ce petit récit pour vous partager une escale à Raiatea le 25 août, cette île sacrée faisant partie des îles-Sous-Le-Vent à l’ouest de Huahine. Avec mon nouvel équipage, nous y sommes restés presque une semaine.

Teavapiti, la passe aux deux motus
Nous entrons à Raiatea par la petite passe de Teavapiti, qui est de loin la plus jolie empruntée jusqu’alors. Avec ses deux motus (îlots) Taoru et Ofetaro qui nous ouvrent le passage, nous laissons sur notre gauche la petite ville d’Uturoa et rejoignons le lagon commun avec l’île de Taha’a pour mouiller en face du Chantier Naval des îles Sous-Le-Vent.


Rencontres mémorables au Chantier Naval des îles Sous-Le-Vent
Étrangement, le Chantier Naval des îles-Sous-Le-Vent a quelque chose de familial voir même d’amical, malgré le taux étourdissant de pollution au mètre carré. Les voiliers et catamarans, côte à côte, se mélangent aux bolides de pêche polynésiens tous bichonnés dans une super ambiance, chacun s’entraide, poste de radio à fond.



Alors que j’attends mes compagnons, mon regard s’attarde sur un navire rouge qui me rappelle quelques choses. Une dame élancée au cheveux gris, s’avance, me regarde, « Tu ne dois pas connaitre à ton âge, c’est Tamata ». Mon esprit ne fait qu’un tour, Tamata, boudiou mais bien sûr ! Je lui réponds immédiatement « Tamata c’est celui qui essaye en Tahitien, j’ai un ami qui porte ce nom. C’est également le nom du voilier de Moitessier, non ? ».
Je venais de rencontrer Véronique, compagne de Bernard Moitessier pendant les dernières années de sa vie et autrice de Voile, mers lointaines, îles et lagons, livre culte pour la navigation en Polynésie. Pendant ma thèse, c’était mon livre de chevet, qui m’a fait rêver et apprendre plein de techniques comme les mouillages aux tuamotus entre-autres. Aujourd’hui, le voilier a perdu provisoirement son allure car son mat en bois (fameux poteau télégraphique) git un peu plus loin dans le chantier pour être remplacé après avoir commencé à pourrir. Sous la pluie nous discutons très brièvement et Véronique descend dans Tamata, comme à la maison.


Pluie polynésienne hors prospectus
Déjà trois jours à subir la pluie, je comprends pourquoi la langue tahitienne possède autant de mots pour dire nuage. L’île sacrée ne se dévoile pas si facilement. Même si personne ne me croira, la Polynésie c’est parfois un lagon brun de boue, un plafond bas digne des hivers Chambérien et une pluie fine qui mérite l’expression jurassienne d’être « complètement gaugé » (trempé). L’unique route est déserte, les rares scooters portent un ciré jaune à l’envers pour prétendre lutter contre la pluie. Les nuages au bord de l’horizon Maire fa’ati’ati’a se confondent avec les ‘Otarepape nuages épais chargés de pluie et le Mahu, brouillard courent sur les pentes montagneuses.
Marie-Claire nous a suivi de près. C’est par une nuit pluvieuse, de celle qui n’est pas formulée dans les prospectus de Polynésie, que Marie-Claire nous rejoint à bord d’Evenstar. Sous son poncho de 1982 (véritable), elle cache dans son panier du fromage, du saucisson et une bouteille de rhum. Elle débarque telle une joviale onde marine. Quand nous ne sommes pas à rire-aux-éclats à traduire de l’Australien au Français les meilleurs noms d’oiseaux, on discute navigation ou plongée et le temps passe vite jusqu’au bout de la nuit ! Dur dur de lui dire aurevoir, vivement la prochaine fois.




Raiatea et les dômes géodésiques de Cédric
Je profite d’être sur Raiatea pour rencontrer Cédric, constructeur de dôme géodésique, que j’avais sollicité en juillet pour un volontariat. Dans le cadre de mes recherches pour un habitat auto-construit et à faible impact environnemental, je m’intéresse depuis quelques temps aux dômes. A défaut d’avoir pu bricoler avec lui quelques semaines, cette rencontre était l’occasion d’avoir un retour sur expérience. Les dômes sont parfois utilisés comme habitat principal, serres à semi ou espace de création, cette forme est esthétique et surtout techniquement abordable et légère. Cédric m’accueille chaleureusement et répond à toutes mes questions, c’est aussi une vraie pipelette. Ça donne envie de se lancer !



Plateau Te Mehani, l’envol des âmes
Le jeudi 25 août un miracle s’opère, le ciel s’ouvre sur d’impressionnantes falaises qui bordent les hauts plateaux de Raiatea. Les restes du déluge abreuvent les mille-et-une cascade chutant verticalement du plateau. De multiples croyances résonnent dans ce haut-lieu de la culture polynésienne. Sur les falaises du Mont Te Mehani, certains pourraient observer l’envol des âmes montantes au Rôhutu no’ano’a (paradis) et la descente des autres dans le cratère béant de Pô auahi (enfer). Il parait même qu’ici, Tafa’i, héro légendaire, rattrapa de justesse l’âme de sa femme Hina et réussi à la glisser à nouveau dans son corps encore chaud.
Les biologistes s’intéressent également de près à ces plateaux, car une petite fleur unique au monde a décidé d’y rester, s’adaptant depuis des milliers d’année, c’est la Tiare Apetahi. Menacée d’extinction depuis 2009, cette petite Tiaré à cinq pétales est protégé et surveillé par l’association Tuihana qui opère des relevés GPS et surtout supprime à la main les plantes envahissantes comme le Feijoa. L’un des deux plateaux (Te Mehani ‘ute ‘ute) est formellement interdit d’accès pour préserver tant la petite fleur que cet espace sacré.
Après une pluie polynésienne les randonnées se font pied-nu ou ne se font pas ! Sur le plateau accessible Te Mehani Rahi, la forêt tropicale laisse place aux pins, puis aux fourrées de Pandanus temehaniensis endémiques. Mes doigts de pieds s’enfoncent dans de l’argiles bariolées de l’orange au bleu-gris qui proviennent de l’altération des roches basaltiques perchés au sommet du plateau. Dans un panorama inoubliable, je peux voir jusqu’à Bora Bora et Huahine. Cet instant est magique, je sens au fond de moi que malgré les difficultés je suis à ma place, au bon endroit au bon moment.
Prochaine escale Bora bora.
Sandrine








