
En arrivant sur Tahiti, nous désirons prendre le temps de ne plus courir après un mode de voyage optimisé et imposé à notre statut d’équipier sur les voiliers. Ce temps nous en jouissons désormais puisque nos vélos et nos affaires sont débarqués sur la terre ferme. S’investir dans la vie locale est notre priorité, mais aussi découvrir cette ile époustouflante à notre manière. Les doigts de pieds en éventail ? Pas vraiment !

Le destin fait parfois bien les choses. Trois jours après avoir quitté le voilier Hopalong, nous partons observer, bouche bée, la mythique vague de Teahupoo. La force de l’océan à cet endroit ne laisse pas indifférent. Ce tube réputé comme le plus puissant et le plus large du monde déferle dans un vacarme assourdissant camouflant partiellement les cris de joie de certains cadors comme Lucas Chumbo, Russel Bierke et Kaauli Vast surfant le monstre de 6 à 7 m. Frissons garantis et respect énorme.



Nous rencontrons Nico dans ce lieu rempli d’énergies. Après quelques discussions classiques, il nous parle de son projet d’autosuffisance alimentaire en pleine éclosion. Nous lui partageons notre volonté de travailler dans le « Faapu », le potager en langue Tahitienne. La connexion est faite, le rendez-vous pris. C’est parti pour une immersion au sein d’Umatatea farm, (Umatatea : en tahitien, instant où une fleur éclos).
Ces deux premières semaines de volontariats sur la Presqu’île se consacrent notamment aux développements d’un potager en appliquant les principes de la permaculture. Cette philosophie qui s’applique tant à la Terre qu’à l’Homme a été mise en mot et développé en Australie par Bill Molisson et David Holmgrem. La permaculture ne se résume pas à une simple technique agricole pour faire pousser des légumes en abondance comme on l’entend souvent. Elle s’avère bien plus vaste. Elle pourrait se définir par une manière sobre de vivre en harmonie avec la nature et les autres, que ce soit concernant l’habitat, les transports, l’alimentation, les relations sociales. Les principes sont de prendre soin de la terre et de l’humain, que les éléments du lieu remplissent plusieurs fonctions et d’éviter de lutter contre la nature, mais plutôt de travailler avec elle. L’aspect social d’entraide est capital à l’image des plantes qui entre elles se « serrent les racines ». La sobriété énergétique pour l’habitat et le transport est un maitre mot pour limiter de manière raisonné les intrants tels que l’essence, le gaz, l’électricité, les plastiques et donc les déchets.

L’exemple le plus frappant pour expliquer cette approche du travail avec la nature plutôt que contre elle, est la forêt. Aucun humain ne l’arrose en temps normal, personne ne retourne son sol, aucun engrais n’est épandu et pas grand monde s’amuse à désherber autour des arbres, et pourtant les végétaux poussent spontanément. Intrigant ?
La forêt recouvre en permanence son sol par les feuilles mortes tombées des arbres qui permettent de garder toute l’humidité nécessaire aux racines. Ces feuilles permettent également aux organismes vivant dans le sol de se nourrir et se protéger des UV, de la sécheresse. En se décomposant ces matières organiques créent l’humus, véritable or noir et engrais naturel. En couvrant son sol la forêt apporte donc le gite et le couvert aux milliards de bêtes qui ameublissent la terre et la fertilise par leurs excréments. Elle permet également la création de connexions souterraines par les mycorhizes (symbiose racine-champignon) entre les différents végétaux pour qu’ils puissent s’entraider.
Nicolas Manutea, nous apprend beaucoup sur les plantes comestibles en milieu tropical et leurs modes de cultures. Les repas voient défilés moringa, katuk, choux kanak, haricots ailés, taro, fruit à pain, pourpier, feuille de patate douce, aubergines, clitoria, carambole, corossol, fruits de la passion, abiu et j’en passe. Avant de se lancer dans ce projet Nicolas travaillait en tant que chef cuisinier dans les plus prestigieux restaurants du monde suite à sa formation à l’Ecole Paul Bocuse. Clairement, on s’est régalé tant il mêle avec inventivité les légumes et plantes de son jardin pour créer des repas savoureux et esthétiques.
Ainsi, notre manière de cultiver tend le plus possible vers l’écosystème forestier en couvrant le sol, en raisonnant l’arrosage, en oubliant les pesticides, en diversifiant et en associant les cultures. Ces méthodes, nous les appliquions déjà dans notre potager en Savoie à Bourdeau, mais ici nous apprenons une nouvelle approche, celle appropriée aux plantes tropicales. L’objectif réside dans l’abondance en fruits et légumes sans se tuer à la tâche. Sur le papier l’approche est sexy, mais en pratique les premières années sont chargées en travail pour créer cet écosystème. Nico est dans cette phase de création. C’est avec grand plaisir que nous l’aidons dans certains travaux comme la plantation d’arbres fruitiers, de plantes comestibles, création d’un composteur, d’un poulailler et de nouvelles zones de culture.




Après ces deux semaines chez Nico, nous décidons avec Sandrine de partir chacun dans un projet de volontariats différents. Sandrine préfère intégrer un écolieu à Faa’a mêlant permaculture et éducation alternative, quant à moi je souhaite continuer les mains dans la terre sur le thème du jardin forêt à Papara pour 3 semaines.
Parenthèse appréciable dans notre voyage qui nous fait vivre ensemble non-stop depuis un an et demi.

Entre deux volontariats notre temps libre est consacré à la découverte des merveilles de l’île. Tahiti possède dans le milieu de la voile une triste réputation et s’avère être la simple escale technique pour beaucoup d’équipages. Combien de fois nous avons entendu sur les pontons: « À Tahiti, il n’y a rien à faire ». Pour découvrir le nectar de l’ile, il nous faut bien évidemment sortir de la ville, de ses marinas et s’aventurer dans les vallées reculées remplies de fleurs Tiaré, de cascades secrètes et de sourire d’amoureux de la nature.




Tahiti est pour nous une belle occasion de sortir les ailes de parapente. Les sites de Tautira, mais surtout de la Punarūu ont ravi notre soif de voler. Quelques vols mémorables à tournicoter dans les thermiques sous le vent de l’Alizée nous font réaliser la chance de pratiquer une de nos passions aux quatre coins du monde. Les voiles Skins 3p se sont bien dégourdis les suspentes, les varios ont chanté et nos rétines ont frôlé le craquage tellement c’est beau vu de la haut.


L’ascension du Mont Aora’i, à 2066m, fût également un temps fort. Nous l’approchons depuis la mer avec nos vélos comme à notre habitude. Les petits 10 km et +550m de dénivelé nous rappellent qu’en bateau nos muscles fondent, ça pique !
Un bivouac humide et 1500 m de dénivelé plus tard en rando, à bartasser dans la boue et les fougères nous attaquons la dernière crête escarpée avant le sommet. Ambiance et souvenir de certaines belles ascensions dans les alpes, nous sommes ici dans notre élément à notre plus grand bonheur.
L’idée de descendre en volant du sommet nous a traversé l’esprit, mais clairement l’entreprise est kamikaze, faute d’atterrissages.

La suite devrait nous conduire toujours en voilier-stop vers l’Océanie, en Australie probablement. Nous avons quelques bonnes options pour continuer la route vers l’ouest. À confirmer bientôt.
Comme on le dit ici, manuia à tous (santé à tous).
Steve (Sandrine pour les photos)